Douze mois de l’amitié franco-suédoise : Avril

Depuis toujours, les artistes voyagent pour chercher inspiration, nouveaux contacts et amitiés. Les échanges artistiques entre la Suède et la France sont justement le thème de l’Institut Tessin, fondé par Gunnar W Lundberg en 1933. À la création de l’Institut suédois en 1971, il fait don de sa collection d’art à l’État suédois afin qu’elle soit présentée de façon permanente chez nous. Puis, à partir de 1982, c'est le Nationalmuseum qui reprend la responsabilité de la conservation des œuvres. À l’occasion des 50 ans de l’Institut suédois, nos amis du Nationalmuseum nous font cadeau d’un texte par mois tout au long de l'année 2021, présentant à chaque fois une œuvre de l’exposition permanente.
Détail d'un portrait d'époque de Carl Gustaf Tessin

Avril 2021 : 10 avril 1741 – Carl Gustaf Tessin

« Alas ! Pourquoi ai-je déjà dilapidé ma fortune ? » C’est cette pensée un rien désespérée qui, en 1741, traversa l’esprit du comte Carl Gustav Tessin lorsqu’il apprit que Paris accueillerait bientôt la plus grande vente aux enchères de dessins de tous les temps. Tessin, qui était alors ambassadeur de Suède en France depuis un an et demi, s’était jusque-là sans entrave adonné à l’achat d’œuvres d’art pour sa propre collection. Cela résultait beaucoup de la colère née de la disqualification de ses acquisitions de peintures en vue de la décoration du palais royal de Stockholm. Le comte menait également grand train à Paris, convaincu qu’une telle représentation ferait briller la Suède. Mais l’argent venant à manquer, c’est avec une nervosité certaine que Tessin vit s’approcher cette opportunité unique d’acquérir des dessins d’importance mondiale. Il se rassura néanmoins en se disant que ses principaux concurrents, c’est-à-dire les acheteurs anglais, seraient absents du tableau.

Les enchères débutèrent le 10 avril 1741 et durèrent jusqu’au 13 mai. C’était la collection du banquier Pierre Crozat, riche de 19 000 dessins, que l’on mettait en vente. Tous les maîtres y étaient représentés, du début de la Renaissance aux contemporains français. Tessin lui-même admettrait que son ardeur fut si grande qu’il était « présent chaque jour de vente aux Grands Augustins afin de, comme d’autres, profiter d’acquérir ces dessins pour une somme largement en-deçà de leur valeur véritable ». Il n’y eut pas vraiment foule puisque le nombre d’acheteurs n’excéda pas quatorze. C’est pourquoi les achats semblent s’être opérés sans difficulté et avec les meilleurs arrangements. À la fin, Tessin parvint à acquérir un total de 2 057 dessins pour une somme de 5 072 livres et 10 sous. Parmi eux, des œuvres de Rafael, Poussin, Rembrandt ou encore de son contemporain Edme Bouchardon. Tessin était bien entendu aux anges, mais un article de journal anonyme vint plus tard révéler la sombre vérité derrière la vente. Le marchand d’art Pierre-Jean Mariette y occupait fonction à la fois de commissaire-priseur, de commissionnaire et d’acheteur. Ce qui n’allait pas sans créer un conflit d’intérêt et lui permettait de décider soigneusement qui allait acheter quoi, y compris Tessin. La question est de savoir si l’ambassadeur de Suède était pleinement conscient de cela ou non. Le plus triste dans cette histoire, c’est que les bénéficiaires des enchères, les pauvres de Paris, durent se contenter d’un quart de la valeur de la collection. Aujourd’hui, la collection Tessin se trouve au musée National à Stockholm, où elle forme la base de l’une des plus belles collections de dessins de maîtres au monde.

Lorsque Martin van Meytens réalisa ce portrait du grand collectionneur Carl Gustav Tessin à Vienne en 1735, ce dernier y était ambassadeur. En ce temps-là, Tessin tentait de convaincre Giovanni Battista Tiepolo d’emménager à Stockholm afin d’y peindre le plafond de la salle des États du palais royal, sans succès.

L’œuvre du mois d’avril :
Martin van Meytens (1695-1770)
Comte Carl Gustaf Tessin, 1735
Huile sur toile, 197 x 116 cm
Nationalmuseum, NMTiP 192
Photo : Christophe Laurentin

Texte : Magnus Olausson/Nationalmuseum