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« Journaux de guerre 1939-1945 » d’ Astrid Lindgren présenté par Elena BALZAMO

Astrid Lindgren (1907-2002), auteur d’une trentaine d’ouvrages (dont une dizaine existent en français), est une icône de la littérature pour enfants dans son pays et dans le monde entier. Ses livres, traduits dans une centaine de langues, sont sans cesse réédités. Le prix Astrid Lindgren Memorial Award, créé en 2002, qui porte son nom et qui récompense chaque année une œuvre de littérature jeunesse, est considéré comme le « prix Nobel jeunesse ».

Auteur : Astrid Lindgren
Titre suédois : Krigsdagböcker 1939-1945
Nombre de pages : 368
Année de publication : 2015
Editeur : Salikon förlag
Présenté par Elena Balzamo, elena.balzamo@free.fr

Depuis plus d’un demi-siècle, la Seconde guerre mondiale est scrutée à la loupe, décortiquée, analysée – a-t-on besoin d’un nouveau livre sur le sujet, et – qui plus est – provenant de Suède, pays resté à l’écart du conflit ?  Certainement, surtout si le livre en question s’appelle Journaux de guerre et si son auteur s’appelle Astrid Lindgren. Pour deux raisons :

Commençons par l’auteur. A l’époque où elle remplit ces dix-sept cahiers, Lindgren n’est pas encore l’écrivain célèbre, classique de la littérature pour enfants, traduite en quatre-vingt-quinze langues et connue dans le monde entier – c’est une femme d’intérieur, mère de famille, qui occasionnellement travaille comme secrétaire. En 1939, elle a trente-deux ans. Fifi Brindacier, Mio mon Mio et tous ses autres chefs-d’œuvre sont encore à venir, mais l’écrivain est déjà née, le style est là, le choix du mot juste, l’acuité du regard et cette simplicité qui ne tourne jamais au simplisme et qui sera plus tard sa marque de fabrique.

Médusée, la jeune Astrid Lindgren regarde le monde s’effondrer, effondrement d’autant plus spectaculaire qu’elle l’observe à distance : son propre univers, la vie de sa famille, de ses concitoyens, sont épargnés, son pays est neutre ; autour d’elle personne ne meurt de faim, personne n’est tué, blessé, passé par les armes – mais les ondes de choc des drames successifs lui parviennent à travers la presse, la radio, les lettres et les récits des témoins. Qu’elle scrute, compare et relate avec une fascination mêlée d’effroi. Le contraste entre l’apocalypse extérieure et la normalité de son quotidien (certes, avec pénurie, cartes de rationnement, manque de chauffage, etc., mais l’auteur n’oublie jamais de les relativiser) est une des raisons du dramatisme de son récit.

La Suède se trouve alors intercalée entre deux pays martyrs, la Finlande et la Norvège, l’un agressé par l’Union Soviétique, l’autre par l’Allemagne. Des deux côtés, les réfugiés affluent, les informations abondent, des rumeurs circulent, cela se passe tout près, cela concerne des amis, des connaissances. L’invasion de la Suède semble imminente – d’où, pour Lindgren, le dilemme : comment choisir entre deux monstruosités ? « N’y aura-t-il donc personne pour assassiner Hitler ?! » s’écrie-t-elle. Mais quelques pages plus loin, le lendemain de l’occupation soviétique des pays baltes : « Alors, plutôt dire ‘Heil Hitler’ jusqu’à la fin de mes jours que nous retrouver sous les Russes ! » Choix terrible, qui hante l’auteur tout au long du récit, et  dont des décennies plus tard on retrouvera un écho dans la finale de Frères Cœur-de-lion.

Pour en revenir aux Journaux de guerre : c’est un témoignage étonnant, permettant de revoir les événements « en direct », tels que les percevait une observatrice intelligente et impartiale, qui ne se perd jamais dans les détails, qui possède la capacité de synthèse et la sagesse d’un esprit parfaitement libre, sans apriori, sans carcan idéologique.

(Les droits de traduction furent vendus pour plusieurs pays : Allemagne, Hongrie, Pologne, Royaume Uni, Norvège, USA.)