« K » de Katarina Frostenson présenté par Elena BALZAMO

En 2017 éclate un scandale qui faillit détruire l’Académie suédoise, fondée en 1786 par le roi Gustave III, et qui depuis 1901 gère l’attribution du Prix Nobel. Le mari d’une de ses dix-huit membres, Katarina Frostenson, poète à la renommée internationale, fut accusé de harcèlement sexuel par dix-huit femmes dont le témoignage fut rendu public par l’influent quotidien Dagens Nyheter. L’affaire prit une ampleur inouïe : enquête, mise en examen, procès et finalement condamnation à la prison ferme pour l’homme, ainsi que la démission forcée de l’Académie de son épouse. Une chute sociale vertigineuse, un naufrage. En 2019, Katarina Frostenson fit paraître un livre, dans lequel elle revient sur ce drame. (Entre-temps, le mari est toujours incarcéré.)

Il s’agit d’un mixte entre chronique-témoignage et essai avec des morceaux de poésie en prose et de poésie tout court.

Auteur : Katarina Frostenson
Titre suédois : K
Nombre de pages : 272
Année de publication : 2019
Editeur : Polaris
Présenté par Elena Balzamo, elena.balzamo@free.fr

D’emblée, l’auteur-narratrice choisit son rôle, celui de victime d’une cabale, de bouc émissaire dans l’acception de René Girard, souvent évoqué. Elle parle de la victimisation inévitable de l’Etranger (l’époux condamné est un citoyen français). Elle choisit également le cadre référentiel, celui de la littérature, évoquant (et invoquant) les mânes des grands artistes persécutés (ou qui se croyaient tels) : tels que Celan, Strindberg, Almqvist… (Plutôt que, par exemple, Weinstein, Strauss-Kahn ou autres affaires qui ont défrayé la chronique ces derniers temps.)

On est frappé, en lisant, autant par la qualité de cette prose que par le parti pris de l’auteur. Certes, une certaine dose de solipsisme est indispensable à toute création artistique : « On ne connaît qu’une vie, la sienne propre, c’est pourquoi on ne peut écrire qu’un roman, celui de sa propre vie », disait Strindberg. Or, ici, il ne s’agit pas de roman, mais d’autofiction, une sorte de journal tenu à partir du moment où le scandale éclate – c’est pourquoi on éprouve à la fois de l’admiration pour la prouesse littéraire et un malaise causé par le parti pris qui frôle l’autisme.

Un autre aspect intéressant est que c’est un livre très français dans la mesure où son action se passe à Paris où le couple se réfugie quand l’ambiance en Suède devient irrespirable. Lors de ses promenades parisiennes, Frostenson évoque des souvenirs du passé (elle y avait vécu dans les années 80), réfléchit sur les événements actuels, sur l’art et la poésie.

Elle n’oublie pas non plus de mentionner les prix qu’elle a reçus, ni les célébrités du monde artistique qu’elle a côtoyés – c’est pourquoi lorsqu’elle présente sa nouvelle existence comme celle d’une paria, le lecteur se frotte les yeux : combien de gens échangeraient leur vie « normale » contre celle de cette « paria de luxe » ! On s’agace – et pourtant, cette transformation du réel par des moyens littéraires aussi est un des points forts du livre : une vision déformée, certes, mais en elle-même cohérente de « l’affaire » vue par le prisme de la littérature.

En un mot, un témoignage captivant, sinon entièrement crédible, sur un cas riche en enseignements d’ordre éthique, mais également sur les mécanismes de la création artistique dû à l’une des meilleures plumes suédoises d’aujourd’hui – un livre qui, à mon avis, ne manquera pas de trouver son public en France.

Cf. la présentation du livre F de Katarina Frostenson sur le site.