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« Le cerveau qui tremble » de Klara Wiksten présenté par Sophie JOUFFREAU

Klara WIKSTEN, artiste et dessinatrice de bandes dessinées, est née en 1981 à Stockholm. Ses premières planches paraissent d’abord dans la revue alternative publiée par Galago [Det grymma svärdet] et dans l’anthologie Les femmes ne sont bonnes qu’à faire des BD sur leurs règles [Kvinnor ritar bara serier om mens].

Auteur : Klara Wiksten
Titre suédois : Hjärnan darrar
Nombre de pages : 168
Année de publication : 2016
Editeur : Syster förlag
Livre présenté par la traductrice : Sophie Jouffreau, jouffreausophie@gmail.com

Une traduction d’extrait est disponible sous la présentation.

Ici s’impose un bref rappel du contexte éditorial en Suède, concernant la bande dessinée au féminin. A l’origine de cette anthologie, une anecdote racontée par l’auteure et chroniqueuse Liv Strömqvist, qui jouit d’un lectorat fidèle en France (tous ses albums ont été publiés chez Rackham). Un soir à une fête, elle rencontre un bédéiste (mâle) qui s’étonne de ce qu’elle fasse, elle aussi, de la BD. Il lui explique qu’il déteste la bande dessinée faite par les femmes, qui ne sont pas capables d’autre chose que de parler « de leurs règles ». Sara Olausson, une autre bédéiste, a alors l’idée de rassembler les contributions de 40 auteures dans un même ouvrage, sur le thème exclusif des menstruations. Cette parution est un repère important dans l’histoire de la bande dessinée féministe suédoise.

Naturellement, certaines auteures s’étaient déjà fait remarquer pour leurs productions humoristiques et satiriques dans les années 80. Dix ans plus tard, une « seconde vague » donne lieu à la publication d’albums réalistes, souvent autobiographiques. La brèche s’est ouverte grâce à ces pionnières, parmi lesquelles Åsa Grennvall, qui a su traiter le thème de l’angoisse avec un très grand talent – et dont Klara Wiksten s’inspire très clairement. Son premier roman graphique, Les jours [Dagarna], paru en 2012, est encensé par la critique. Le cerveau qui tremble [Hjärnan Darrar] est son deuxième album.

Dans un style graphique simple, que certains pourront qualifier de simpliste, Klara Wiksten décrit des situations de la vie de tous les jours, vécues pour certaines, imaginées pour d’autres. Les noms ont tous été inventés et aucune promesse de silence n’a été brisée. Pourtant, malgré un trait naïf et un réalisme quasi-documentaire, Klara Wiksten parvient à faire ressentir une palette d’émotions jusqu’à toucher au cœur le lecteur.

La seule manière de réagir aux conventions absurdes de ce monde malade n’est-elle pas d’être à son tour inconvenant ? Hurler son chagrin depuis le quai du métro, marcher pieds nus dans la neige, s’asseoir sur un banc et boire toute la journée, se remplir les poches de galets magiques ou arriver en retard à son rendez-vous chez Pôle Emploi parce qu’on a passé la nuit à regarder du porno et à jouer à la console ?

Klara Wiksten n’est pas à l’aise en société, c’est le moins qu’on puisse dire. Dans ces dix-neuf portraits, elle rend hommage aux êtres qu’elle a croisés au détour de ses angoisses, aux marginaux, aux buveurs, aux chômeurs pris dans l’engrenage, à tous ceux blessés par la vie.

Il y a ce vieil homme qui n’a que son chat pour lui tenir compagnie et qui la rejoint sur un banc, cet homme taciturne qui projette secrètement d’aller vivre dans les bois, cet employé du cimetière qui pratique la méditation entre les tombes, cette dame élégamment apprêtée au rouge à lèvres impeccable, rencontrée à pôle emploi, un lieu que Klara Wiksten connaît bien pour l’avoir fréquenté pendant de nombreuses années. Elle pose un regard doux sur ceux que la société a laissé de côté, ceux qui n’ont pas trouvé leur place, à une époque où « s’adapter » est le maître mot. Le « cerveau qui tremble » (titre français à discuter) est un cri de douleur poussé sous l’oreiller, une ode à la liberté — non pas la liberté de faire ou d’entreprendre, mais celle d’être celle ou celui que l’on choisit d’être.

Extrait traduit