« Le club – une enquête » de Matilda Gustavsson présenté par Rachel ERDMANN

Matilda Gustavsson est journaliste au Dagens Nyheter, le quotidien national de référence en Suède. C’est par la publication de son enquête que le « scandale de l’Académie suédoise » est arrivé. L’institution souveraine en charge de la remise du prix Nobel de littérature a en quelques semaines perdu tout prestige et toute crédibilité. Pourtant Matilda Gustavsson n’était pas à la recherche du scoop susceptible d’ébranler les puissants. Mais dans le sillage du mouvement #Metoo, elle s’est retrouvée dépositaire de 18 témoignages concordants de jeunes femmes abusées sexuellement par le même individu, celui qui sera dénommé « une personnalité du monde de la culture » dans les articles du journal.

Auteur : Matilda Gustavsson
Titre en suédois : Klubben – en undersökning
Nombre de pages: 230
Année de publication : 2019
Genre : Enquête journalistique
Editeur : Albert Bonniers
Agent : Ahlander agency, info@ahlanderagency.com
Presenté par : Rachel Erdmann, erdmann.rachel@wanadoo.fr

L’affaire s’est emballée quand il s’est avéré que l’individu en question – un français, Jean-Claude Arnault – était à la tête d’un lieu culturel stockholmois fréquenté par tout ce que la ville compte de personnalités reconnues dans ce milieu (le « club » du titre) et qu’il était aussi le mari d’un membre de l’Académie suédoise, la poétesse de grande renommée Katarina Frostenson. De plus il est devenu public que l’Académie soutenait financièrement les activités du cercle littéraire, musical, intellectuel, animé par celui qui se revéla alors être un prédateur sexuel de longue date, mais protégé.

Dans son livre sorti plus d’un an après que le scandale n’éclate, Matilda Gustavsson détaille les méandres de son travail d’investigation et met à nu les jeux de pouvoir et d’influence qui sont à l’oeuvre dans l’élite culturelle stockholmoise.

L’auteure y relate son enquête, qui l’a hantée jour et nuit pendant des semaines et qui lui a permis de rencontrer beaucoup de ceux qui ont gravité, au fil des années, autour du fameux club, mais elle s’interroge également sur l’emprise du pouvoir et de l’argent dans des cercles qu’on aurait pu imaginer plus lucides et pertinents sur ces réalités. Elle donne la parole à plusieurs victimes et montre à quel point le fait même de témoigner est un acte de courage : face à ceux qui tirent les ficelles, c’est prendre le risque de ruiner tout espoir de carrière, dans un univers où il est si difficile de percer : l’art. Etre talentueux ne suffit pas, il faut être en relation avec les bonnes personnes au bon moment, et faire parfois des sacrifices au-delà de l’acceptable…

Leurs témoignages, parfois bouleversants, s’intercalent, sans que leur teneur ou leur forme en soit modifiée, avec la narration de l’auteure.

Matilda Gustavsson dépeint aussi les doutes et les angoisses auxquelles elle a dû elle-même faire face pour mener à bien son travail, rappelle l’indispensable soutien de sa rédaction, évoque le danger qu’elle a parfois ressenti à s’approcher trop près de certains cercles de pouvoir…

Car on découvre également dans ce livre les coulisses des réunions des membres de l’Académie, les luttes de clans qui s’y sont déroulées, le silence coupable de ceux qui savaient, les réglements de compte étalés au grand jour.

On suit aussi avec fascination et dégoût le parcours d’un homme, un Français, qui réussit à s’imposer, entre autres grâce à son alliance prestigieuse avec Katarina Frostenson, dans le « tout-Stockholm », à devenir le pivot de la vie culturelle élitiste de la capitale, celui qui pouvait faire ou défaire des carrières…

Une Katarina Frostenson qui lui reste d’ailleurs fidèle jusqu’au bout, et qui le défendra dans un ouvrage « K », non traduit, sorti au printemps 2019.

Si ce récit s’attache à dépeindre la réalité d’une crise spécifiquement suédoise, il interroge sur des pratiques qui, elles, ne connaissent pas les frontières. Combien de « personnalités du monde de la culture » sévissent dans les capitales européennes, au vu et au su d’un entourage qui a trop à perdre à briser le silence et qui par là même devient complice ?