« Le fils de Svea, un récit sur le foyer du peuple (Un suédois authentique) » de Lena Andersson présenté par Rachel ERDMANN

Sveas son est le septième roman de Lena Andersson, critique littéraire et figure de premier plan dans le débat de société suédois. Elle s’exprime régulièrement dans les grands quotidiens du royaume. Seul Ester ou la passion pure (Editions Autrement, 2015, traduction de Johanna Brock et Erwan Le Bihan), son cinquième roman, auréolé du prix August en Suède, a été à ce jour traduit en français.

Auteur : Lena Andersson
Titre suédois : Sveas son – en berättelse om folkhemmet
Nombre de pages : 249
Années de publication : 2018
Editeur : Polaris
Agent : Hedlund Agency, magdalena@hedlundagency.se
Presenté par : Rachel Erdmann, erdmann.rachel@wanadoo.fr

Sveas son dépeint le parcours de la famille de Ragnar, un suédois authentique de la seconde moitié du XXème siècle, pur produit de la sociale démocratie, et reflet éclatant des individus que la politique du « folkhemmet » a engendrés. Ce « folkhemmet » – terme intraduisible tel quel en français : littéralement cela signifie « foyer du peuple »- qui apparait dans le sous-titre renvoie à ce qu’on englobe communément dans le concept de « modèle suédois ». Une société où chaque individu a sa place et bénéficie de la protection de l’Etat, en contrepartie d’une taux d’imposition élevé.

Ragnar est fils de Svea, ce qui en suédois prend un double sens : Svea est le prénom de sa mère, mais c’est aussi une façon ancienne de désigner la Suède. Un peu comme si on racontait la vie d’un français emblématique dont la mère (la mère patrie…) s’appellerait France ou Marianne…

Ce n’est cependant pas un récit de propagande pour le modèle suédois. Lena Andersson traite son personnage tantôt avec tendresse, tantôt avec ironie, n’élude pas sa sincérité mais ne cache pas ses limites.

Ragnar, né en 1932, est professeur de menuiserie dans un quartier émergent de Stockholm. Tous ses choix sont dictés par la raison, la logique, le bon sens et une vision précise de ce qu’est le civisme. Les grands sentiments, la passion, les impulsions lui sont étrangers. Il rencontre Elisabet, devient père de deux enfants, et remplit sa mission familiale avec la même ferveur que ses devoirs de citoyen.

Ses enfants, devenus adultes, prendront des libertés (se passionner pour la littérature et renoncer à l’entraînement sportif régulier !) qu’il comprendra avec peine.

Au travers de Ragnar, on comprend comment la Suède d’aujourd’hui s’est construite et a évolué. Il contribue à une société où la fantaisie et l’imagination n’ont guère leur place et il en profite avec reconnaissance.

C’est seulement devenu vieux, quand ses deux enfants auront pris leur indépendance, que Ragnar s’autorisera quelques écarts, et donnera enfin libre cours à un fugace élan créatif.

Si Lena Andersson se moque volontiers des travers de son personnage, elle ne manque pas non plus de souligner tout ce que le « folkhemmet » a produit de positif, qui peut se résumer dans les dernières paroles de Svea (et les dernières lignes du roman)  » Finalement, on a eu une belle vie, ça n’aurait pas pu être mieux ».

Certes cette société a produit des êtres très conformistes, que l’ennui et un sentiment de vide finissent souvent par rattraper, mais rien d’essentiel ne manquait à personne,  et la conscience de l’autre et du bien commun ne faisaient jamais défaut.

L’écriture de Lena Andersson est en miroir du sujet traité. La langue est riche et précise, fruit d’une véritable exigence littéraire. Le mot juste ne fait jamais défaut, les chapitres sont souvent courts, le récit connait de fréquentes ellipses: il s’agit de se concentrer sur  l’essentiel, ce qui fait sens et permet d’avancer. Et de le faire avec talent.

Ce roman, objet littéraire indéniable, offre également toutes les clés pour la compréhension de la société suédoise si volontiers louée et imitée, sans que généralement, et en particulier en France, on sache très bien de quoi on parle. C’est un livre drôle et instructif, un condensé de l’histoire du XXème siècle dans le royaume scandinave narré avec une écriture pleine d’humour où, on ne le sait pas assez, les nordiques excellent.