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« Eau trouble » de Maria Broberg présenté par Marina HEIDE

Extrême Nord de la Suède, juste en dessous du cercle polaire, milieu des années 1960. Lorsque le petit Nilas disparaît, le destin de sa famille se trouve bouleversé. Quarante ans plus tard, quand le corps de l’enfant est enfin retrouvé, Håkan, son demi-frère aîné, est forcé de replonger dans ce drame qui a marqué son enfance.

Autrice : Maria Broberg
Titre suédois : Bakvatten
Nombre de pages : 271 pages
Années de publication : 2020
Editeur : Norstedts
Contact : www.norstedtsagency.se
Présenté par : Marina Heide, marina.heide@gmail.com

Née en 1977 dans le Norrbotten où elle vit toujours aujourd’hui, Maria Broberg a une formation en journalisme culturel et sciences politiques. Elle travaille dans la communication et la presse écrite. Bakvatten, son premier roman, a été très remarqué par la critique. Pour le moment, les droits étrangers ont été vendus en Allemagne.

À l’été 1948, Margareta s’installe avec son mari Hebbe au village. Personne ne comprend véritablement ce que cette belle jeune femme peut trouver à cet homme beaucoup plus âgé qu’elle. Assar, un jeune homme du coin de 17 ans, rencontre Margareta à l’épicerie du village et propose de l’escorter chez elle, un trajet de 8 km qui leur donne le temps de faire connaissance. Une relation amoureuse ne tarde pas à naître entre eux, et Margareta tombe enceinte. Son mari, qui n’espérait plus devenir père, est aux anges. Même s’il se doute que l’enfant n’est pas de lui, il le reconnaît. Håkan naît un beau jour au début des années 1950.

Pendant sa grossesse, Margareta coupe les ponts avec son amant, qui part faire des études à Stockholm. Il y vit une dizaine d’années, avant de revenir s’installer dans la région. Entre temps, à la mort de Hebbe, Margareta s’est remariée avec un Same du nom de Lars, avec qui elle a eu un deuxième fils prénommé Nilas. Les gens du village voient d’un mauvais œil ce mariage entre une Suédoise et un « Lapon ».

La passion reprend de plus belle entre les deux amants, au point que Margareta décide de tout quitter pour Assar et d’abandonner ses enfants. Mais quelques jours après leur départ, Nilas disparaît. Dès qu’elle apprend la nouvelle, Margareta rentre chez elle. Malgré les battus, le garçon reste introuvable.

Une enquête est ouverte, et tous les soupçons pèsent immédiatement sur Lars, le père de Nilas, pour la simple raison qu’il est Same. Ni Maragreta ni Håkan ne le défendent, bien au contraire. Quand le bonnet du garçon est retrouvé au bord de l’eau, on en déduit qu’il s’est noyé. Mais les villageois continuent à tenir Lars responsable. Désespéré, il finit par quitter la région.

En 2008, plus de quarante ans après le drame, Rune, un ancien camarade de Håkan, retrouve le corps de Nilas, enterré dans une forêt. L’affaire sort aussitôt des archives. Pia, sa femme, qui ignorait que son mari avait eu un frère, essaie tant bien que mal de le faire parler. Face à son silence, elle entreprend de mener son enquête elle-même. Après des découvertes et des rencontres, elle finit par obtenir les confessions de Håkan sur la mort de son petit frère.

Voilà un beau roman campé dans les latitudes septentrionales à l’intrigue particulièrement bien ficelée. Le décor est dépaysant, les protagonistes intéressants et le récit finement construit. Le texte se situe à l’intersection de plusieurs genres, entre le roman d’amour et le polar. Le point de vue alterne principalement entre Assar et Håkan, mais aussi Pia qui prend le relais de la narration à la toute fin. Si Margareta est l’un des personnages centraux, le lecteur n’est jamais plongé dans ses pensées, ce qui la rend d’autant plus énigmatique et captivante. C’est à travers les yeux des autres, et notamment son amant, qu’on apprend à la connaître. À l’inverse, si l’on suit Håkan de son enfance à la soixantaine, on ne sait pas tout de lui, loin de là. En ce qui concerne la temporalité, c’est lui qui fait le lien entre le passé et le présent, et qui apporte malgré lui un nouvel œil sur l’histoire.

La langue est soignée, souvent poétique. L’écriture fait la part belle aux non-dits qui forgent cette intrigue, et le rythme assez lent participe largement au suspens. L’ancrage géographique est essentiel dans ce récit qui raconte le destin complexe d’une famille dans une région reculée, aux paysages sauvages et désolés. Le village, la forêt et les marais forment un huis clos, théâtre des passions et des tensions.

L’un des traits marquants du texte est le dialecte local, dont les dialogues sont imprégnés. Une particularité que l’on perdrait nécessairement en français, mais les décors suffisent à eux seuls à recréer le charme si particulier de cette région. Du point de vue des thèmes, il est essentiellement question de la vie rurale, du délitement familial, de la libération sexuelle. En toile de fond, l’auteure aborde l’oppression qu’ont longuement subie les Sames, peuple nomade de l’extrême nord de la Suède, de la Finlande et de la Norvège. Un thème intéressant, assez méconnu hors des frontières de la Scandinavie. C’est un livre qui brise le mythe romantique du Grand Nord, ce qui est intéressant pour les lecteurs français.

Avec ce premier roman, Maria Broberg montre qu’elle a beaucoup de talent. Nul doute, c’est un nom à suivre dans le paysage littéraire suédois.