L'Institut suédois est fermé le 1er mai 2024.
Notice close

DROITS VENDUS « Le huitième pays » de Jila Mossaed présenté par Françoise SULE

Née à Téhéran en 1948 où elle a grandi, Jila Mossaed se fait d’abord connaître en tant que rédactrice à la radio et à la télévision iraniennes, après avoir fait paraître ses premiers poèmes à l’âge de dix-sept ans dans le célèbre magazine littéraire Koshe.

Comme elle s’oppose au durcissement culturel qui suit la prise de pouvoir par Khomeini en 1979, elle trouve refuge en Suède avec ses deux enfants l’année où elle publie son recueil de poésie Ghazalan-i-chalak-i khatòirah (1986).

Autrice : Jila Mossaed
Titre suédois : Åttonde landet
Editeur : Bokförlaget Lejd
Nombre de pages : 70 ( 65 poèmes assez courts, entre 10 et 20 vers)
Année de publication : 2020
Présenté par: Françoise Sule, francoise.sule@telia.com

Son premier recueil écrit en suédois, Månen och den eviga kon/ La lune et la vache éternelle (éd. Ordfront,1997) marque une nouvelle étape dans son parcours littéraire.

” La langue suédoise est devenue la lumière qui éclaire ma route pour pouvoir écrire et raconter en toute liberté sans être punie. Le pouvoir de la langue va au-delà de toutes les frontières et embûches. Il y a un triomphe sur l’oppression et la censure que seule la langue peut réaliser. Cela n’a pas été facile au départ.” explique-t-elle dans son discours inaugural à l’Académie suédoise.

” Chaque langue qui me donne la liberté de m’exprimer contre l’injustice est la langue de mon coeur”, dit-elle à propos de son oeuvre poétique, où l’exil occupe une place essentielle.

On trouve dans son recueil Varje natt kysser jag markens fötter.Dikter/ Chaque nuit j’embrasse les pieds de la terre. Poèmes  (éd. Lejd, 2009) une parole plus directe et plus simple qu’auparavant. La poète entame une nouvelle phase dans sa création. Elle parle de la douleur de l’exil, mais sans amertume, de l’envie de se rapprocher de la nature et de l’imaginaire nordique. Comme le confie la poète ”, Le sol est la terre où nous vivons. Je montre mon amour et ma reconnaissance à la planète terre”

Il compose la première partie d’une trilogie dont le deuxième volet, Ett ljud som bara jag kan / Un son que moi seule connais (éd. Lejd, 2012), est bientôt suivi de Jag föder rådjuret/ Je donne naissance au chevreuil (éd.Lejd 2015).

En 2018 elle succède à l’écrivaine Kerstin Ekman à l’Académie suédoise. Cet honneur vient récompenser une riche carrière littéraire ainsi qu’un parcours grandement salué dans son pays d’accueil.

Il coïncide avec la parution de son recueil Vad jag saknades här (éd. Lejd, 2018), traduit et publié en français Le cœur demeure dans le berceau (éd. Hashtag, 2019, Canada). ” Oublie où je suis née/j’ai aussi oublié le lieu/ (…) Oublie d’où je viens/Nous nous ressemblerons tellement/ lorsque nous serons transformés en poussière”.

Dans son dernier recueil Åttonde landet/ Le huitième pays,(éd. Lejd 2020), l’amour est présent, comme ombre protectrice et régénératrice. Åttonde landet, le huitième pays, se trouve au-delà de toutes les frontières. C’est la forteresse de l’intime ou de l’âme, un état de paix qui peut être atteint en dépit de la dureté du monde extérieur et du déracinement de l’exil.

”Je suis la joyeuse danseuse des mots
je chante à l’oreille secrète des mots
Mais au déclin du jour
je pose ma tête
sur les épaules de Rumi
et je pleure longtemps
Je suis une femme qui écrit”.

Ce qui frappe d’emblée à la lecture des poèmes de Mossaed est l’atmosphère feutrée, drapée de pénombre dans laquelle évoluent ses mots, ses vers diffusent l’énergie du rêve. Mémoire intime et mémoire collective se tissent dans l’énigme du temps. Il n’y a pas que les mémoires de l’enfance, l’ombre de l’Iran dans ses poèmes. Le monde actuel avec ses luttes, ses injustices, ses migrations se retrouve en filigrane dans son écriture. Sans cesse enracinée et déracinée, Jila Mossaed, poète de langue suédoise, ouvre ses  ”paupières intérieures”.

”Cette pièce est mon pays
et toi tu es son peuple
Parle-moi
dans la langue du vent
de la terre
et dans la langue des typhons
Parle-moi dans la langue de la blessure et de la douleur
Toi, peuple silencieux
charme-moi de ta voix
Tiens-moi éveillée
Jusqu’à la venue de la paix
Ô,toi peuple silencieux”

L’écriture de Mossaed rapproche les terres d’enfance du présent marqué par les impressions du Nord qui lui prête ses métaphores. Une écriture intime et nouvelle, personnelle et transparente qui frappe dans sa simplicité.

”Nous nous perdons de vue
dans la nuit absolue
qui est le septième stade de la peur
J’incline le miroir vers le brouillard
dans l’attente de la lumière”

L’œuvre poétique et littéraire de Jila Mossaed a été couronnée de nombreux prix, entre autres ,le prix Jan Fridegård (2018), le prix Karl Vennberg (2019) et le prix Erik Lindegren (2019).

Le huitième pays  (2020)– Jila Mossaed /traduction Françoise Sule

p.16

Dans ce jardin-là,
aucune fleur ne naît
L’arbre n’a pas d’ombre
et le vert a peur du rouge

Pourquoi les morts sont-ils si seuls
La nuit  les  voix se transforment en cris
La pluie efface tous les noms

Nous nous perdons de vue
dans la nuit absolue
qui est le septième stade de la peur

J’incline le miroir vers le brouillard
dans l’attente de la lumière

p.17

Ai fait ma valise
Le voyage débute dans la profondeur
des vallées assoupies

J’attache mes pieds fatigués
aux sabots des chevaux

N’ai pas reçu de lettre aujourd’hui non plus

La femme du voisin a donné naissance à un enfant
qui a sept bouches pour téter
Mon frère voulait partir vers une autre planète
il ne supportait pas l’odeur du sang

Le tourment sent fort dans cette maison
J’ai fait mes bagages aujourd’hui
Qu’importe s’il pleut
ou vente,
je partirai vers la planète de mon frère
Les chevaux savent parfois voler
s’ils veulent

p.21

Le coeur dérive sur l’eau
Ai laissé toutes les lettres au vent

Nous avons été trop longtemps des voyageurs
Les vagues avalent les frontières
Comme des petites sardines

Les mots angoissés, les mots asséchés, les mots voilés
ne nous aident pas

Nous glissons silencieusement sur les doigts de l’océan

Comment les poissons trouvent-ils leur maison

Beaucoup de temps s’est maintenant écoulé
Nous sommes oubliés
Nous sommes perdus
Et nous ne manquons à personne

p.37

Hier j’ai pleuré
alors que j’arrosais le pétunia bleu foncé

La senteur fonçait dans mes nerfs
dans mes moindres muscles
en  moi-même

Le sol sous mes pieds
tanguait

As-tu vécu des secondes similaires
Cela fait mal
Comme si la mort
inspirait au plus profond de ta bouche