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« Pour Lydia » de Gun-Britt Sundström présenté par Achille SEGAUD

“ C’était lui et cependant ce n’était pas lui. Celui qu’elle avait aimé – et un étranger. ”

Quel exercice de style plus difficile que celui de la réécriture ? C’est pourtant avec justesse et fraîcheur que Gun-Britt Sundström réussit ce pari aussi dangereux que le Jeu Sérieux de Hjalmar Söderberg (1912, trad. E. Balzamo, Ed. Viviane Hamy, 1995) duquel l’autrice tire son ouvrage. Le lecteur retrouve ainsi avec plaisir le couple d’indécis Lydia et Arvid mais l’intrigue a changé de décor; le Stockholm grouillant de la Belle Epoque a été remplacé par celui des années 1950, âge d’or du fonctionnalisme et d’un Etat-providence en expansion. Autre différence majeure, le récit se concentre sur le point de vue de Lydia et non plus d’Arvid.

Auteur : Gun-Britt Sundström
Titre suédois : För Lydia
Nombre de pages : 244
Année de publication : 2019 (parution originale en 1973)
Editeur : Albert Bonniers Förlag
Présenté par Achille Segaud, segaudachille@gmail.com

Bien que moins connu en France que son compatriote Strindberg, Hjalmar Söderberg (1869-1941) n’en reste pas moins un des piliers de la littérature suédoise du tournant des XIXe et XXe siècles. D’une génération plus jeune que l’auteur de Mademoiselle Julie, Söderberg se présente comme un observateur passionné de ses contemporains. Homme de presse, il infuse dans ces articles les idées venues du continent et de France. Grand admirateur d’Anatole France, l’auteur du Procurateur de Judée (1902), il le traduit en suédois, se met lui aussi à écrire des nouvelles – ses Historiettes (1898, Dessin à l’encre de Chine, trad. dir. E. Balzamo, Cambourakis, 2014) – et poussera même la candidature du maître au prix Nobel que celui-ci obtiendra en 1921. S’il faut retenir un thème que Söderberg ne cessera de travailler, c’est bien celui du libre-arbitre, très en vogue dans les années 1890.

Outre la nouvelle et le théâtre, dont Gertrud (1906, il en existe deux traductions en français, celle de V. Dulac, Esprit Ouvert, 1994 et celle de J. Jourdheuil et T. Sinding, Ed. du Laquet, 1996) fut son plus grand succès, Söderberg excelle dans le roman court, en particulier avec Docteur Glas (1905, deux traductions aussi, D. Bernard-Folliot, Michel de Maule, 2005 et M. de Moltke-Huitfeld et G. Lavagne, Libretto, 2016) et Le Jeu Sérieux (1912). Le premier, écrit sous forme de journal intime, met en exergue les batailles intérieures d’un médecin de famille tenté d’assassiner un de ses patients pour sauver la femme de ce dernier. Dans le second roman, l’auteur livre le récit des amours impossibles d’un couple de jeunesse tiraillé par les convenances du temps et condamné à se blesser l’un l’autre. A la fin de sa vie, Söderberg réside à Copenhague où il abandonne la littérature pour se consacrer à la théologie.

Cette présentation étant faite, nul besoin d’être familier de l’œuvre de Hjalmar Söderberg pour pouvoir lire et apprécier le roman de Sundström. Celui-ci fonctionne de manière autonome et a un intérêt bien propre à lui que nous tenterons de démontrer maintenant.

Flâneuse aussi invétérée que son modèle, Sundström dresse un portrait tendre et acéré de la capitale suédoise et de ses jeunes amants en quête de sens et de liberté. A la place de l’affaire Dreyfus, de la désunion avec la Norvège et des suffragettes, ce sont les développements du folkhem et les tensions de la guerre froide qui font la une des journaux – médium toujours aussi important que dans l’oeuvre de H. Söderberg. Quels idéaux pour la jeunesse stockholmoise de l’après-guerre ? Sundström dresse le portrait d’une femme ivre d’amour et de liberté, paradoxe fondamental. Bien que Lydia soit une femme, l’autrice nous présente un individu assoiffé de liberté et point question ici de manifeste féministe à proprement parler. De manière bien plus intéressante, elle met le doigt sur les inconséquences malheureuses qui rendent l’amour d’Arvid et de Lydia – c’est-à-dire celui d’un homme marié et d’une femme libre – impossible. Pour preuve cette citation mise en avant par Ulrika Knutson dans sa préface (2018) pour décrire les amères découvertes faites par Lydia : “Être ‘sa seconde femme’, c’est bien beau, si seulement la première n’existait pas.”

Paru en 1973, För Lydia reste d’actualité en Suède et la bibliothèque municipale de Stockholm l’a choisi pour son projet annuel “Stockholm läser” en 2019, une incitation à la lecture existant depuis 2002, sélectionnant autant des livres faisant partie du canon suédois que des auteurs contemporains comme Jonas Hassen Khemiri.

Née en 1945, Gun-Britt Sundström connaît son premier succès avec För Lydia, succès confirmé par le classique moderne  qu’est Maken (“Mon mari”, 1976), roman qui scrute les affres du couple hétérosexuel à travers l’histoire de Martina et Gustave. Critique littéraire et traductrice reconnue, son œuvre est inédite en langue française. Elle est lauréate 2019 du Helgapriset et membre externe du comité Nobel de 2018 à 2019.