Déjà connue des lecteurs français pour ses thrillers à l’ancrage historique solidement documenté, Tove Alsterdal ouvre, avec Rotvälta, une série qui a pour cadre la vallée d’Ådalen, dans le Nord de la Suède. La région, prospère et très peuplée à la fin du XIXe siècle, lorsque le bois amené par flottage jusqu’à l’embouchure du fleuve y était traité par les nombreuses scieries, s’est depuis vidée de ses travailleurs puis de sa jeunesse. Elle est aussi tristement célèbre pour les tragiques événements qui endeuillèrent la petite ville de Kramfors le 14 mai 1931 : appelés à réprimer un long mouvement de révolte ouvrière, les militaires ouvrirent le feu sur les manifestants, tuant quatre grévistes et une spectatrice de 20 ans prénommée Eira. Le drame divisa la Suède sur la question de la responsabilité des violences policières.
Auteur : Tove ALSTERDAL
Titre suédois : Rotvälta
Nombre de pages : 399
Année de publication : 2020
Editeur : Lind & Co
Contact : info@ahlanderagency.com
Présenté par : Isabelle Piette, isabelle.piette@skynet.be
Passé et scieries désertées servent à la fois de cadre et d’écho, dans le roman de Tove Alsterdal, à l’abandon par tous d’Olof Hagström, autrefois poussé aux aveux, à l’âge de 14 ans, pour le viol et l’assassinat d’une adolescente dont le corps n’a jamais été retrouvé, et à la question centrale inscrite en filigrane : celle de la responsabilité de ceux qui se turent alors, et qui continuent à se taire. Lorsque, vingt-trois ans après les faits, Olof, de passage dans la région, ne résiste pas à la tentation de revoir la maison de son enfance, il y découvre le cadavre de son père. Tout semble à nouveau l’accuser. Eira Sjödin, jeune policière qui vient de rejoindre le commissariat de Kramfors, dans sa région natale, comprend rapidement que le passé est inextricablement lié au présent et que les « vérités établies » ne furent et ne sont encore que le résultat d’un réseau de silences, d’omissions et de lâchetés qui s’enracinent dans les histoires personnelles de personnages moins secondaires qu’il n’y paraît au premier abord. L’inévitable retour dans le passé n’épargne personne et entache tous les protagonistes, jusqu’aux plus intègres. Olof, en effet, n’a jamais porté la main sur la jeune adolescente disparue qui, en réalité, se cache dans l’anonymat à Stockholm, aidée autrefois dans sa fuite par le propre frère d’Eira. Celui-ci endosse un crime qu’il n’a pas commis (celui d’un jeune homme qui devait fuir avec l’adolescente) et impose le silence – toujours ce silence… – à Eira. Quant au père d’Olof, il a été assassiné par sa voisine, soucieuse de cacher un secret qui briserait sa famille : celui d’un autre viol commis des années plus tôt par son mari.
La construction du roman, dont l’arborescence se complexifie en plusieurs intrigues au gré des rebondissements de l’enquête policière, est servie par une écriture claire et précise qui excelle notamment dans l’évocation des atmosphères et de l’implicite, ainsi que dans la description d’une nature aussi superbe que menaçante.
La jeune inspectrice Eira Sjödin est le fil rouge de cette nouvelle série qui se démarque par son cadre géographique (l’Ångermanland, dans le Nord-Est de la Suède) et par le traitement, en filigrane, de thèmes qui dépassent le cadre policier (la responsabilité) et font écho à des faits historiques. On la retrouve dans le second volume aux prises avec d’autres meurtres et d’autres disparitions.
Saluée récemment encore au festival de Cognac pour La Maison sans miroirs (Le Rouergue, 2021) et en Suède pour Rotvälta (notamment prix du meilleur roman policier de l’année, en 2020), Tove Alsterdal a déjà publié le deuxième volet (Slukhål) de cette série. Les droits des deux volumes ont été vendus dans de nombreux pays ainsi que pour le cinéma.