« Fine de claire » par Daniel Gustafsson présenté par Jean-Baptiste BARDIN

Une femme prend la route vers le Sud. D’elle, nous ne savons que l’obsession qui l’habite : les huîtres, les fines de claire, plus précisément. Cette femme, nous l’apprenons, s’appelle Helena. Elle est géologue et si le mollusque l’intéresse tant, c’est qu’il est l’un des plus vieux animaux vivants et que l’histoire de sa domestication est entourée de mystères. Helena ne sait pas exactement ce qu’elle cherche, mais elle sait ce qu’elle fuit : un mariage moribond, une fille qu’elle n’a pas su élever, des rêves scientifiques trop vite brisés. Cela, le lecteur ne le découvre qu’au gré des souvenirs qui surgissent en l’héroïne et des paysages qu’elle traverse (les ponts du Danemark, le port de Hambourg, les autoroutes belges).

Auteur : Daniel Gustafsson
Titre suédois : Fine de Claire
Nombre de pages : 237
Année de publication : 2020
Éditeur : Nirstedt
Contact : Nirstedt/litteratur, kajsa@ascaripr.com
Presenté par : Jean-Baptiste Bardin, jeanbaptiste.bardin@gmail.com

Déformation professionnelle oblige, chaque paysage lui raconte une histoire multimillénaire, où les hommes ne sont que d’infimes particules, aux destins individuels dérisoires, perdus dans la nuit des temps.

L’auteur poursuit avec Fine de claire une démarche initiée dans son premier roman Odenplan : évoquer la violence de notre société en la replaçant dans une perspective universelle, pour ne pas dire cosmique. Pour Daniel Gustafsson, les traumatismes se sédimentent en nous pour former qui nous sommes, comme les différentes couches géologiques d’un paysage. Ici, ce n’est plus un quartier de Stockholm, qui constitue le décor de ce théâtre social, mais l’Europe toute entière, le mystère de ses paysages et de ses habitants. Car Helena croise sur sa route d’autres âmes égarées, auxquelles Daniel Gustafsson donne vie, et qui sont bien plus que de simples faire-valoir de l’héroïne.

Le style de Fine de claire est peut-être moins homogène que celui d’Odenplan, dont les longues phrases semblaient souligner les errances du personnage. Ici, au contraire, c’est l’accident, la digression, le changement de rythme qui font le charme de la prose, comme si l’auteur avait voulu suivre l’évolution des paysages qui défilaient devant Helena, ou de ses états d’âmes.

Mais l’histoire, rapidement, est interrompue par une second récit, découpé en quatre parties et que l’éditeur a pris soin de présenter sous une mise en page différente : celui d’un jeune marin embarqué au 19ème siècle sur Le Morlaisien et chargé de ramener du Portugal le nouvel « or de l’Atlantique », l’huître. Raconter deux histoires parallèles – dont la fascination pour l’huître serait, en apparence, le seul point commun – était un pari risqué. Pourtant, ce récit (qui constitue un tiers du livre) est aussi prenant qu’un grand roman d’aventures du 19ème siècle. Et ce procédé, d’ailleurs, permet de donner plus de souffle et de profondeur à l’histoire d’Helena. Qui sait même si le récit du jeune marin n’est pas le fruit de son imagination, hantée par le mystérieux mollusque ?

En mettant en parallèle ces deux récits, Daniel Gustafsson conduit une réflexion très sérieuse sur la suprématie des hommes et leur place dans l’histoire du monde, effleurant au passage les thèmes du racisme ou de l’écologie.

Dans Fine de claire, tout est surprenant, à commencer par le sujet, évoqué dès le titre : l’huître et son histoire, plus instructive qu’il n’y paraît. Le mystère qui entoure la démarche d’Helena (et qui se dissipe au fil du livre), de même que le souffle romanesque du récit maritime, en font un roman séduisant et original. Daniel Gustafsson est un auteur qui nous embarque par son style et nous surprend par ses sujets. Sa voix à toute sa place dans le paysage éditorial francophone.

L’auteur :

Né en 1972, Daniel Gustafsson est écrivain et traducteur du hongrois et de l’anglais. Son premier roman, Odenplan (2019) a été finaliste du prestigieux prix August. Il est en cours de traduction pour Payot-Rivages.