« La nuit » par Sara Gordan présenté par Rachel ERDMANN

Natten est le quatrième roman de Sara Gordan, qui a fait paraître son premier livre en 2006. Elle n’avait rien publié depuis plus de dix ans. Aucun de ses livres n’a été traduit en français, pourtant cette autrice est très impliquée avec la France : elle a traduit entre autres Helène Cixous et Michel Houellebecq en suédois. Elle place aussi l’action d’une partie de son roman en France, à Paris et dans le sud-ouest, des lieux que Sara Gordan a fréquentés.

Autrice : Sara Gordan
Titre suédois : Natten
Nombre de pages : 200
Année de publication : 2022
Éditeur : Albert Bonnier Förlag
Contact : Siri Lindgren, Nordin agency, siri.lindgren@nordinagency.se
Présenté par : Rachel Erdmann, erdmann.rachel@wanadoo.fr

Natten est un court roman qu’on pourrait être tenté de lire d’une traite, tellement la narratrice, une mère qui s’adresse à sa fille, embarque immédiatement le lecteur dans sa quête : sa fille, adolescente, est introuvable, alors que, diabétique, elle a besoin de soins réguliers. L’urgence et le désespoir qui jaillissent dès les premières pages sont très contagieux. Dès les premières lignes, alors qu’on ne sait pas encore qui parle, qu’on ne sait pas non plus à qui ce narrateur s’adresse, ce « je » qui concède qu’il a tout essayé et qu’il ne lui reste plus qu’à abandonner nous rend aussitôt captif.

Le roman se déroule comme un long appel d’une mère débordée, mais très aimante, qui se débat dans  la prise en charge de ses enfants, tout particulièrement au moment de l’adolescence. Nous découvrons son histoire et celle de ses enfants, par un aller-retour régulier entre la vie passée, chaotique et compliquée, et l’urgence immédiate, celle de retrouver la fugueuse noctambule. Le récit, découpé en dix chapitres, est fortement inspiré par la vie de l’auteure : elle explique à la fin qu’il est basé sur des évènements réels mais forcément remodelés par le souvenir, et que la volonté de raconter une histoire a été préférée à l’exigence de vérité. Sara Gordan donne volontairement le seul point de vue de la mère qui a fait tout ce qu’elle a pu, tout au long des années de vie avec ses enfants, et tout au long de cette interminable nuit de disparition.

Et on découvre que le sort s’est acharné sur elle : un premier enfant mort-né, un accouchement qui la laisse ensuite entre la vie et la mort, deux enfants atteints de problèmes de santé compliqués, une vie entre la France et la Suède qui conduit à une séparation, et plusieurs années de vie comme mère célibataire…
Tout cela affecte sa vie professionnelle, l’empêche de mener à bien une thèse sur la répétition en littérature, de préparer ses cours pour les sessions d’ateliers d’écriture où elle exerce, et même de lire alors que toute son activité professionnelle repose sur cette capacité.
Elle affronte les institutions médicales et sociales, qui la rendent volontiers responsable des difficultés de sa fille. Elle accepte le placement et la séparation, aussi douloureuse soit cette décision, car elle sait qu’elle sombre en voulant éviter à sa fille de sombrer. Elle garde aussi l’espoir qu’il y aura un « après », un temps d’apaisement.

Son immense solitude face à l’adversité se traduit entre autres par la façon dont les individus qui l’entourent sont désignés : jamais par leur nom, mais par leur fonction ou leur caractéristique principale. Le père de l’adolescente en danger est « le Français », le compagnon actuel est « le mari », les autres enfants sont définis comme « ta petite sœur » ou « ton frère ». Le récit nous rend complices de sa pensée, de ses souvenirs, de son combat : le propos est direct, sans fioritures. Elle s’adresse à sa fille, à nous, en femme lettrée et cultivée, mais aux prises avec les affres de l’existence immédiate, de la gestion de sa famille et de ses angoisses de mère. Sa prose ne cherche pas à nous mettre à distance, bien au contraire, elle nous agrippe et nous retient, nous oblige à l’accompagner.

Ce récit d’une mère envers qui l’auteure a voulu être aussi honnête que possible (ce sont ses propos en fin d’ouvrage), qui  a essayé de ne « perdre prise sur rien » est très personnel en ce qu’il est basé sur la vie d’une famille particulière. A ce titre il rassure parce qu’on nous parle de quelqu’un d’autre. Mais le parcours de cette femme est aussi celui de toutes les mères, suédoises comme françaises, qui voudraient être parfaites et ne sont qu’humaines.