« Qui a parlé d’amour ? » par Elaf Ali présenté par Rachel ERDMANN

Couverture du livre "Vem har sagt något om kärlek" de Elaf Ali

Elaf Ali est une jeune autrice d’origine irakienne. Elle est par ailleurs journaliste dans un grand quotidien suédois, le Svenska Dagbladet, et a également travaillé pour la télévision nationale, SVT, et la radio suédoise. Elle a grandi en Suède et « Qui a parlé d’amour ? » est son unique publication à ce jour. Elle a écrit, comme elle le dit dès la première page, le livre qu’elle aurait voulu pouvoir lire lorsqu’elle était adolescente. C’est donc un récit pour « jeune adulte », qui a remporté plusieurs prix dans cette catégorie. Cependant, il peut être lu dès l’âge de 12 ans.

Auteur : Elaf Ali
Titre suédois : Vem har sagt något om kärlek?
Nombre de pages : 233 pages
Année de publication : 2021
Éditeur : Rabén & Sjögren
Contact : Linda Andersson, Salomonsson agency, linda@salomonssonagency.com
Présenté par : Rachel Erdmann, erdmann.rachel@wanadoo.fr

Captivée par une interview radiophonique de son autrice, j’ai commandé ce livre sans me douter qu’il appartenait à la littérature jeunesse. Sa lecture m’a confirmé qu’il présentait un véritable intérêt pour tous, pas seulement pour le public auquel il s’adresse a priori.

Elaf Ali nous raconte sa vie d’enfant et surtout d’adolescente, en Suède, et dépeint le choc culturel que représente la confrontation aux normes de la société suédoise pour ses parents dont les traditions familiales sont ancrées dans un tout autre univers. Elle nous relate aussi ses séjours en Irak, où elle se sent tout à fait étrangère. Son récit, autobiographique, commence alors qu’elle a 9 ans, et se termine lorsque, jeune adulte, elle a réussi à quitter la cellule familiale et à imposer ses propres choix.

Tout au long du livre, elle explique comment sa vie a été régie par le « code d’honneur » qui pilote le destin des femmes de sa famille. Dès qu’une adolescente a ses premières règles, elle devient femme et à ce titre ne doit plus être en contact avec des hommes, même de son âge, se montrer à la piscine, ni s’adonner à quelque activité que ce soit. C’est le couperet qui tombe sur la jeune Elaf lorsqu’elle a dix ans, et un long parcours de privations et de contraintes l’attend alors. Son père est le sommet d’une hiérarchie où les filles occupent la dernière place, c’est lui qui édicte la loi qui s’applique à tous les membres de la famille.

Le mariage matérialise le transfert de cette responsabilité du père au mari, il ne s’agit donc pas d’épouser l’être aimé – d’où le titre donné à l’ouvrage –, ni même d’envisager de choisir son époux.

Or, Elaf veut avoir une vie semblable à celle de ses camarades d’école et ne veut pas se marier, surtout pas  avec quelqu’un qu’on aurait choisi à sa place. Elle veut faire des études, devenir autonome, construire elle-même son existence. Toutes choses fort banales dans la Suède du 21e siècle, mais hors de propos pour ses parents : ils sont le fruit de normes sociales tout à fait incompatibles avec de tels choix.

Le parcours chaotique d’Elaf Ali, ses batailles, ses victoires, nous tiennent en haleine par la sincérité de son autrice, et le caractère documentaire de cette vie écartelée. La lente évolution du père, qui d’ailleurs quitte la famille pour en fonder une autre, est également captivante : elle montre aussi comment la force du lien qui unit ce père à sa fille le conduit progressivement à modifier son jugement, à accepter peu à peu certaines réalités du pays qui l’a accueilli, et les choix de ses propres enfants.

La langue est fluide et factuelle, sans fioritures, mais sans relâchement non plus : la lecture est agréable et prenante. Des inserts documentaires éclairent certains concepts ou traditions mal connus et mal compris  concernant cette culture de l’honneur : ils sont bienvenus pour les adultes comme pour les plus jeunes, la méconnaissance de ce qui fait la différence est souvent le terreau des jugements hâtifs et des malentendus. Ils sont complétés par des recherches statistiques sur les problématiques évoquées par le livre, ou un paragraphe sur la convention des droits des enfants. Sont reproduites aussi, en plusieurs morceaux, des interviews qu’Elaf Ali a faites de son père et de sa mère, qui illustrent de façon directe le cheminement de la pensée de ses parents. Elaf Ali cherche à éclairer ses lecteurs au delà de son histoire individuelle, et à montrer toutes les facettes de la réalité à laquelle elle a été soumise.

Cette histoire suédoise a sans aucun doute son écho dans la société française. Même si elles ne s’appellent pas  Elaf, il y a certainement en France des jeunes filles qui rêveraient de trouver dans la littérature l’écho de ce qui les fait souffrir et les entrave. Elles pourraient ainsi y puiser l’espoir d’une issue qui leur soit plus favorable.