« Un Suédois à Hollywood » par Vilgot Sjöman présenté par Jean-Baptiste BARDIN

Le nom du cinéaste Vilgot Sjöman est connu des cinéphiles pour deux films majeurs, Je suis curieuse : jaune (1967) et Je suis curieuse : bleu (1968), diptyque qui devait faire entrer le cinéma suédois dans l’ère de la modernité et lui attribuer une réputation sulfureuse. C’est oublier un peu vite que Sjöman a été une personnalité du monde artistique et intellectuel suédois des années 1960-1990, écrivain prolifique, auteur d’un essai sur son ami Ingmar Bergman (L.136 : Ingmar Bergman fait un film, non traduit) et d’un autre sur son propre travail (J’étais curieux, éd. Julliard 1969).

Titre : Un suédois à Hollywood
Auteur : Vilgot Sjöman
Titre suédois : I Hollywood
Nombre de pages : 322 pages
Année de publication : 1961
Éditeur : Norstedts
Contact : Anders Sjöman – anders_sjoman@yahoo.com
Présenté par : Jean-Baptiste Bardin, jeanbaptiste.bardin@gmail.com

En 1961, Sjöman passa l’hiver à Los Angeles, pour étudier le cinéma à l’université. Fasciné par les mutations que connaît alors « l’usine à rêve », il en revient avec ce livre, témoignage d’un jeune européen qui a cessé depuis longtemps de croire aux cow-boys et aux indiens et découvre un monde où règne la publicité, la recherche du profit et la censure.

Dans la première partie de son récit (la plus courte), Sjöman parle de ce désenchantement, à la découverte de la tentaculaire Los Angeles et de ses décors en carton-pâte. Très vite, il comprend qu’Hollywood est en train de vivre une révolution. Ce qui n’était encore qu’une usine à divertissements glisse progressivement vers le cinéma des auteurs, à l’instar de ce que connaissent les pays européens. La société américaine change, le public et ses habitudes de consommation aussi. Autre temps, autres moeurs, le puritanisme d’une censure inscrite dans le code Hays se ringardise à vue d’oeil, tandis que les listes noires du sénateur McCarthy continuent de décider qui a le droit de cité.

Sjöman cherche à expliquer ces mutations et à décortiquer le système hollywoodien pour mieux le réenchanter. Il interroge de grands réalisateurs et acteurs (Deborah Kerr, Robert Aldrich), mais aussi des publicitaires, des figurants professionnels, un scénariste communiste, etc. Ce qui débutait comme un récit de voyage se poursuit alors en grand reportage à la manière d’Albert Londres, usant de la même plume sèche et efficace pour partager sa stupéfaction et éveiller la curiosité des lecteurs.

Toutes les personnes interviewées partagent le même constat : le cinéma, pour concurrencer l’invasion de la télévision, doit prendre plus de risques et devenir, selon le terme à la mode à l’époque, plus « adulte ». Mais Hollywood est gangrené par trois maux : la censure, l’anticommunisme et, surtout, la peur de l’échec commercial. Le texte pose cette question vertigineuse : une entreprise de la taille d’Hollywood peut-elle (financièrement) se permettre de ne pas plaire à tout le monde ? Et si non, faire des films est-il encore une activité artistique ?

La dernière partie s’efforce de répondre à cette question, chiffres à l’appui. Sjöman y entre dans les détails économiques et juridiques (avec un chapitre passionnant sur la censure), retrace l’histoire de la
fondation de la MGM et de l’arrivée du parlant, pour montrer comment le cinéma américain a toujours su surmonter ces crises. Ce en quoi le texte résonne d’ailleurs étrangement avec notre époque.
Tour à tour récit de voyage, reportage, essai anthropologique et sociologique Un Suédois à Hollywood est l’un des témoignages les plus subtils et les plus exhaustifs jamais publiés sur cette période de l’histoire du cinéma.