Dans le Nord de la Suède, Liv vit entre un père qu’elle hait, Vidar, et un fils adolescent, Simon. La nuit, elle travaille dans une station-service. Le jour, elle se souvient des relations qu’elle a eues dans sa jeunesse avec des hommes de passage, des routiers.
Auteur : Stina Jackson
Titre suédois : Ödesmark
Nombre de pages : 350 pages
Année de publication : 2020
Éditeur : Albert Bonniers förlag
Contact : Julia Angelin, Salomonsson agency, info@salomonssonagency.com
Présenté par : Jean-Baptiste Bardin, jeanbaptiste.bardin@gmail.com
Gabriel et Liam sont frères. Ensemble ils ont commis tous les larcins possibles et sont connus de tout le comté. Si Liam essaye de se racheter, Gabriel court toujours après les bons coups. Un jour, ils décident de s’attaquer au supposé butin que cache le vieux Vidar mais le cambriolage tourne mal. Vidar meurt dans la confusion de quelques coups de feu. Son corps est retrouvé quelques jours plus tard, mais pas là où Liam et Gabriel croyaient l’avoir tué.
Dans une deuxième partie, le roman suit les deux frères qui vivent très différemment leur culpabilité. De son côté, Liv semble heureuse d’être enfin débarrassée de son tyran de père et en même temps obsédée par son image, entretenant avec lui une forme de fétichisme incestueux. La police, enfin, mène une enquête dont le lecteur ne sait presque rien. Un homme (l’amant de Liv) est finalement arrêté pour le meurtre de Vidar mais la réalité est bien plus tragique : c’est Simon qui a tué son grand-père pour débarrasser sa mère de son tyran. En l’apprenant, Liv décide d’abord d’avouer à la place de son fils mais choisit finalement de le dénoncer et de l’envoyer en prison, pour venger la mort de son père.
Ce qui frappe d’abord dans l’histoire de Dernière neige, c’est l’absence totale de société et d’institutions. Les personnages sont des marginaux, des têtes brûlées, poussés par l’instinct, la violence et l’appât du gain. Stina Jackson vit aux États-Unis depuis de nombreuses années et son roman s’inspire d’une certaine façon des westerns américains : dans ce désert du bout du monde, l’homme doit composer avec la nature et se battre contre les autres loups. L’auteure y fait également résonner les grands thèmes de la tragédie grecque : le destin, le fratricide, le parricide, l’inceste, le sacrifice. Le thème de la famille est traité sans manichéisme ni moralisation, sans explication psychologique. Une femme est attachée à son père de manière inexplicable, un homme est accusé d’avoir tué son frère, un petit-fils tue son grand-père. La sécheresse du style, y compris dans les dialogues, sert ce propos, faisant de Dernière neige un roman extrêmement tenu.
Mais Stina Jackson n’oublie pas qu’elle écrit aussi un polar et nous propose au passage un meurtre non élucidé. Le traitement de l’intrigue est aussi ingénieux qu’audacieux. Le héros (Vidar) meurt à la page 100. On suit parallèlement l’histoire des meurtriers et celle de la victime, puis on apprend (en même temps qu’eux !) que Liam et Gabriel ne sont pas coupables. Dans cette petite ville, les personnages se croisent souvent, donnant lieu à des scènes d’une grande ambiguïté et qui ne tombent jamais dans la caricature.
Le dénouement, lui aussi, prend le lecteur au dépourvu. Pour la première fois, la faute est nommée : c’est un (grand-) parricide qui va à l’encontre de tous les codes institutionnels et moraux. Cette fin nous heurte d’autant plus que, pour avoir suivi le cheminement intérieur de Liv, Liam et Gabriel, le lecteur aveuglé ne s’est pas demandé ce que vivait le jeune Simon, pourtant un personnage clé de l’histoire. Ici encore, Stina Jackson bouleverse avec une grande violence les codes du monde dans lequel nous vivons, en même temps qu’elle nous offre une passionnante intrigue policière.
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