Printemps 1965. C’est en cherchant un nouvel endroit pour exposer sa riche collection que l’historien d’art Gunnar W Lundberg déniche un hôtel particulier décrépi dans le quartier du Marais, à Paris. L’homme convainc l’État suédois d’en faire l’acquisition : c’est le point de départ de l’Institut suédois, dont l’exposition permanente présente une sélection des œuvres passionnément et minutieusement rassemblées par Gunnar W Lundberg. 700 peintures, 1400 dessins, 4000 œuvres graphiques ainsi que des sculptures, livres anciens, médailles…. Parmi cet ensemble, on compte des trésors signés Alexander Roslin, Louis-Jean Desprez ou encore Gustaf Lundberg.
Mai 2025. Un nouvel accrochage thématique offre un éclairage inédit sur les grands mouvements du 18e siècle, période la plus représentée dans la collection. Le Siècle des Lumières, qui marque l’âge d’or des relations franco-suédoises, est une période de grands progrès, mais aussi de troubles. Cette dualité est explorée à travers le regard des artistes français et suédois, qui ont su capter un monde en mutation. Organisée en quatre sections, l’exposition présente tour-à-tour les nouvelles conceptions de la figure de l’artiste, de l’avenir, du passé, ainsi que le regard porté sur le Nord.
Dans un jeu d’échos et de résonances, cette mise en perspective tisse un dialogue entre le passé et le présent, marqués l’un comme l’autre par de grands bouleversements.
La figure de l’artiste
Avec le développement des académies d’art et l’abolition progressive des corporations, le 18e siècle voit émerger la figure moderne de l’artiste. Une nouvelle classe aristocratique et bourgeoise, collectionnant l’art selon ses propres goûts, contribue à cette évolution. Parallèlement, l’ouverture du Salon en 1737 offre aux artistes une visibilité inédite. Cette période marque un âge d’or pour les artistes suédois à Paris. Gustaf Lundberg, Alexander Roslin et Adolf Ulrik Wertmüller s’y imposent, notamment dans l’art du portrait. Réciproquement, des artistes français comme Guillaume Taraval, Charles Guillaume Cousin et Jacques-Philippe Bouchardon laissent leur empreinte en Suède, en particulier sur le château royal de Stockholm, plus grand chantier du siècle. L’exposition explore la manière dont les artistes se représentent eux-mêmes dans ce contexte. Le portrait d’artiste oscille entre intimité et démonstration : autoportraits expérimentaux, revendication d’un certain statut, mise en scène du corps, ces portraits montrent l’artiste à la fois modèle et acteur, toujours avec un même point central : le regard.
Le risque et le sublime – L’avenir
Le 18e siècle voit émerger de nouveaux phénomènes économiques et la première grande crise financière mondiale en 1720. La satire de Bernard Picart présentée dans l’exposition illustre la folie spéculative de l’époque. Face à cette instabilité, le concept du sublime, théorisé par Edmund Burke en 1757, exprime la fascination et la terreur inspirées par les forces capables de détruire l’être humain. Les éruptions volcaniques deviennent un motif artistique majeur, notamment celle du Vésuve en 1779, popularisée par la peinture et la gravure. La Suède n’a pas de volcans, mais elle a des mines. L’exploitation minière, en particulier la grande mine de cuivre de Falun, plus vaste site industriel du pays, attire de nombreux visiteur.ses à la fin du siècle. Lorsque le révolutionnaire Francisco de Miranda la visite en 1780, il assimile son ouverture au cratère du Vésuve. De la terre au ciel : l’invention de la montgolfière incarne le rêve d’élévation de l’être humain. Dans l’exposition, progrès et catastrophe s’entrelacent : mines, volcans et montgolfières sont réuni.es par une même flamme – celle du feu, élément à la fois créateur et destructeur. Prométhée et Icare en sont les figures emblématiques.
L’antiquité dévoilée – Le passé
Dans les années 1760, une véritable anticomanie s’empare de Paris : les idéaux de l’Antiquité inspirent l’art, l’architecture et la mode. Rome redevient un centre artistique incontournable, attirant peintres, architectes et sculpteurs. Pour les artistes suédois comme Jean Eric Rehn, le passage par l’Italie, souvent via Paris, s’impose naturellement. Ainsi se dessine un axe fort entre Stockholm, Paris et Rome au 18e siècle. L’architecte et peintre français Louis-Jean Desprez, formé à l’Académie de Rome, entreprend le voyage en sens inverse lorsqu’il est engagé par le roi Gustave III de Suède. Naples quant à elle, avec les fouilles de Pompéi et d’Herculanum, suscite une réflexion sur la préservation du patrimoine. La prise de conscience d’un monde disparu est posée par Johann Joachim Winckelmann en 1764 dans Histoire de l’art chez les Anciens, ouvrage fondateur de l’histoire de l’art moderne. Cette section de l’exposition illustre les différentes approches de l’Antiquité : certains voient dans ses monuments un modèle intemporel à imiter, d’autres s’en inspirent librement pour nourrir de nouvelles créations. L’attrait pour les ruines reflète autant la fascination pour le passé que l’inquiétude face à l’avenir. Si le sublime traduit la puissance de la nature, la ruine en est l’écho, rappelant l’inéluctable déclin des civilisations.
L’autre et le Nord
Si artistes, amateurs et voyageurs se tournent vers le Sud à la recherche des origines de la civilisation, d’autres prennent la direction opposée : vers les confins du monde connu. Cette section de l’exposition met en lumière la fascination française pour le Nord, et plus particulièrement pour la Laponie (Sapmí), perçue comme l’exact contrepoint de l’Europe civilisée. Au 18e siècle, plusieurs expéditions françaises sont menées dans le nord de la Suède, la plus célèbre étant celle de Pierre Louis de Maupertuis en 1736. Bien qu’il n’ait atteint que la région du Tornédalen, son voyage est relaté comme une odyssée vers les limites du monde. Les Sames, seul peuple autochtone de Suède et d’Europe, deviennent des figures de l’homme naturel qui fascinent les salons parisiens. Les regards français et suédois divergent : la Suède voit en la Laponie un territoire à exploiter, tandis que la France la fantasme comme un territoire primitif, hors du temps et de la culture.
Ce nouvel accrochage sera régulièrement activé de différentes manières, tout d’abord avec la première exposition monographique depuis 30 ans consacrée à l’artiste Louis-Jean Desprez (1743–1804), largement représenté dans la collection. Grand voyageur, peintre, architecte et graveur, Desprez fut l’un des plus grands décorateurs de théâtre d’Europe. Il réalisa plusieurs scénographies remarquées pour Gustave III, qui l’invita à Stockholm afin de concevoir des décors de théâtre et de festivités.
Nationalmuseum, Stockholm, est aujourd’hui gestionnaire de la collection et de l’exposition permanente de l’Institut suédois.
Commissaire : Otto Ruin, historien de l’art, dont le travail s’inscrit dans le cadre du programme « jeunes chercheur.ses » de Nationalmuseum, qui permet à ceux.elles-ci de mener des recherches directement autour des collections du musée.
Comité scientifique : Martin Olin, directeur des collections du Nationalmuseum, Linda Hinners, conservatrice des collections au Nationalmuseum.
Cheffe de projet : Maria Ridelberg-Lemoine, responsable du patrimoine et des collections à l’Institut suédois.
Ce projet a été rendu possible grâce à la généreuse donation de Björn et Inger Savén.
Merci également à la fondation Jacob Wallenberg pour son soutien.