« papa-maman-enfant » de Jonas Rasmussen présenté par Catherine RENAUD

Devenir papa. Rien de plus beau. Mais certains papas, comme certaines mamans, ont parfois du mal à ne pas se laisser submerger par le stress et les émotions contradictoires. À gérer le poids des gènes et de la responsabilité qui leur tombe dessus, voire souffrir de dépression du post-partum. C’est la parole d’un jeune père qui est ici donnée sous trois formes complémentaires.

Auteur : Jonas Rasmussen
Titre suédois : pappa-mamma-barn
Nombre de pages : 56
Année de publication : 2013
Editeur : FEL Förlag
Livre présenté par la traductrice : Catherine Renaud, crenaudtrad@gmail.com

Une traduction d’extrait est disponible sous la présentation.

 

 

La  première partie, « [papa] », est construite sur la répétition de « j’ai », à chaque début de phrases qui s’enchaînent comme une litanie. Elle forme ainsi comme une incantation sur tout ce que le personnage possède (« tous les CDs de Pink Floyd, même si certains (il faut bien l’admettre) sont des copies piratées) »), mais aussi « un fils qui a un diagnostic ‘d’asthme lié au rhume’»), ou éprouve comme sentiments (« une femme qui a 30 ans et que j’aime aussi ») ou expérimente en tant que père comme la fatigue (« du mal à dormir ») ou encore le poids de l’héritage génétique (« un grand-père paternel qui est mort d’une crise cardiaque à 63 ans »).

Dans la deuxième partie, « [mamɑ̃] », chaque début de phrase commence par une nouvelle litanie, celle des « je n’ai jamais » (« dit ‘tu me pourris la vie’ à mon fils chéri », « foutu le camp »). Cette partie joue davantage avec toutes ces pensées souvent taboues que chaque parent peut avoir dans les grands moments de fatigue.

Ces deux parties imprimées sur la page de droite sont complétées par une troisième partie, « [pʁɔdɥi deʁive] », qui se présente sous forme de notes occupant les pages de gauche. Elle apporte des précisions parfois comiques, parfois phonétiques, parfois scientifiques ou encore tout simplement poétiques, comme la note [3] du texte principal « J’ai un fils que j’aime et j’ai commencé à réfléchir sur mes gênes3 » :

Note 3
(J’ai un fils que j’aime, et j’ai commencé à réfléchir sur mes gènes3)

Quand il s’agit de ta place dans l’histoire
mon langage est un liquide à six facettes
qui s’appuie de montagne en montagne
de miroir en miroir

Tes gènes se souviendront toujours de moi
Et moi, de mon côté :
une marionnette suspendue
par les chaînes d’ADN et leurs fils torsadés
Cet intervalle qui laisse du jeu
Oscillation harmonieuse
et des années lumières entre les extrêmes du pendule

Une balançoire est accrochée
à la branche la plus basse de l’arbre généalogique
Le siège de la balançoire tenu par deux chaînes tendues
Le trou creusé dans le sable en dessous
là où l’enfance a freiné
afin de
continuer

Jonas Rasmussen, né en 1975, traduit en suédois des romans et des œuvres poétiques d’auteurs danois, dont Morten Søndergaard ou Pia Tafdrup. Il a publié depuis 2008 six monographies, dont trois sous pseudonyme. En 2013 paraît pappa-mamma-barn, recueil poétique conceptuel qui explore de manière dépouillée et ludique le caractère traumatisant de devenir parent tout en analysant le langage et ses limites. Jonas Rasmussen appartient au courant des poètes suédois contemporains expérimentaux, parfois qualifiés de matérialistes à leur corps défendant, et pour qui la forme et la structure tiennent une place centrale sur l’effet qu’elles peuvent avoir sur le lecteur. Ils ont une forte conscience des éléments constitutifs de la langue tout en choisissant pour chaque œuvre un thème unique et moderne.

Ce recueil est une petite perle, y compris pour ceux qui ne sont pas forcément lecteurs de poésie. Sa prose poétique, fluide et accessible parlera à tous les parents, quelle que soit leur nationalité, en abordant sans fard le tabou du stress paternel. Tous ces sentiments (particulièrement tabous dans notre société) que les pères peuvent éprouver en devenant parent: les peurs, l’agressivité, le manque de sommeil, la perte de contrôle, la mauvaise conscience et toutes les sensations de faiblesses et d’échec. Dans le même temps, on ressent une certaine légèreté dans le ton qui touche parfois à l’autodérision et offre une lecture moins grave de ces thèmes.

À la frontière du livre-objet, l’ouvrage possède une jaquette dont la déchirure réalisée par l’auteur semble représenter cette frontière ténue entre réalité et mensonge, jeu et sérieux de la vie, santé et maladie, quotidien et introspection, langue et cri, ordre et chaos.

Extrait traduit