« La Meute » de Rasmus Malm & Matilda Ruta présenté par Sophie JOUFFREAU

Rasmus Malm est journaliste et producteur de radio, qui, en plus d’expériences professionnelles dans le milieu de l’édition, a également travaillé pour RFSU, L’Association suédoise pour l’éducation sexuelle. « Flocken », destiné aux 9–12 ans, est son premier roman graphique.

Matilda Ruta est une illustratrice et auteure de nombreux livres publiés notamment chez Raben & Sjögren, maison spécialisée dans la littérature jeunesse, et chez Natur & Kultur (publications à visée éducative et matériel pédagogique).

Lova, 13 ans, accompagne son beau-père à une vente aux enchères, où elle le convainc d’acquérir une collection de planches naturalistes. Pour quelle raison la jeune fille est-elle à ce point fascinée par une série de portraits de hyènes hilares ? De retour à la maison, la mère de Lova entre dans une colère folle et s’empresse de jeter la collection tout juste acquise.

Un soir, Lova fait la rencontre de Josef, un camarade de classe, au milieu des tombes de Skogskyrkogården – l’immense cimetière boisé en banlieue de Stockholm. Là, ils assistent ensemble à un drame qui les pousse à mener l’enquête, faisant fi de l’ambiance lugubre qui règne dans le cimetière. Ils y retournent chaque soir. D’étranges hurlements et rires se font entendre la nuit, des corps sont déterrés – et Lova a de plus en plus de mal à contrôler ses réactions, pour le moins déroutantes… Le récit tombe progressivement dans l’horreur gothique.

L’adolescente, qui ne comprend d’abord pas la réaction de sa mère face aux tableaux ni pourquoi elle l’interdit de rendre visite à sa tante Lilith, qui vit en institution, finit par faire le lien entre tous ces évènements. Elle qui menait jusque-là une vie d’adolescente parfaitement monotone se retrouve confrontée à des choix décisifs.

Les partis-pris graphiques de Flocken, peint à l’aquarelle par la talentueuse Matilda Ruta, contribuent grandement à instaurer différentes atmosphères – l’obscurité teintée d’encre rouge sang où le cimetière est plongé contraste avec les couleurs pastel du quotidien.

Cet album palpitant, apparenté au genre policier mais loin de s’y réduire, est le produit de son temps à de nombreux égards. Le récit est particulièrement cinématographique, avec des flashbacks subtilement insérés et un tempo rapide, qui saura maintenir en haleine les adolescents d’aujourd’hui.

Tandis que la maman de Lova essaye de couper court à l’enquête de la jeune fille, lui conseillant sagement de se « tenir à l’écart », sa tante Lilith lui offre tartare de bœuf, boudin noir et décadence. Les rôles masculin/féminin sont ici inversés : Lova désobéit à sa mère et suit les traces de Lilith, tandis que Josef, en phase avec son caractère plus docile, prend ses distances avec son père violent, occupé à chasser et à tuer les hyènes qui ont envahi le cimetière.

Au-delà de la question du genre, Flocken aborde des thématiques chères aux adolescents : le brouillage des frontières entre l’humain/le civilisé et l’animal/le sauvage, l’autorité parentale mise au défi, la quête d’identité et de groupe d’appartenance (la meute).

Cet album, pourtant, ne donne pas toutes les réponses, et c’est tant mieux. Ce que Lova décide de devenir lorsqu’elle fait le choix du sang et qu’elle rejoint la meute de charognards, demeure assez ambivalent. Ce qu’il y a d’intéressant sont justement les questions qui restent en suspens. Du point de vue narratif, le choix de Lova de rejoindre ses sœurs les hyènes a de quoi choquer le lecteur qui s’attendrait à un dénouement plus rassurant. Mais justement : Lova est autorisée à rejoindre la meute, le danger, le sang et la violence, sans être pour cela punie ou culpabilisée – elle a le droit d’être cette jeune fille sur la couverture, un sourire aux lèvres et du sang tout autour.

Extraits de Flocken