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« Le retour » de Olof Aschberg présenté par Jacques PRIVAT

Olof Aschberg fut un riche banquier suédois très actif dans le combat antinazi et qui se retrouva au centre d’événements importants. Il rencontra et se lia à des personnages clés du XXème siècle dans les milieux les plus divers : Joséphine Baker, les ministres français Pierre Cot et Georges Mandel, les hommes politiques Willi Munzenberg ou Hjalmar Branting, les écrivains Thomas et Heinrich Mann, Lion Feuchtwanger, Anna Seghers et bien d’autres. En raison de ses investissements en Russie avant et pendant la révolution, il fut surnommé le banquier rouge. Longtemps décrié, il fut pourtant décoré en Suède et occupa une place en vue dans la gauche suédoise.

Auteur : Aschberg, Olof
Titre suédois : Återkomst
Nombre de pages : 359
Année de publication : 1947
Editeur : Albert Bonniers förlag
Présenté par Jacques Privat, privat.jacques@sfr.fr

L’oeuvre :
Véritable plongeon dans l’histoire européenne, ces mémoires font se côtoyer d’emblée la poésie de Karl Gerhard et la réalité chiffrée allemande, avant de poursuivre sur les femmes travailleuses, les réfugiés, l’accueil d’enfants espagnols et la mobilisation pour la paix. Ayant compris l’importance de l’image, Aschberg acquiert une grande partie du capital de Pathé-cinéma, ce qui le mène dans un camp de concentration français. Après avoir cédé ses actions à l’état français, il est libéré et émigre aux États-Unis, où il poursuit son combat en lançant avec Pierre Cot le magazine « Free World ». En 1945, il retourne en Suède.

Ce livre est une mine de révélations :

  • En 1914-1918, les actes d’espionnage réalisés pour l’Allemagne par un petit officier (Franco).
  • Le rôle d’Hitler dans la mort de sa nièce Gely.
  • La collaboration entre industries et banques.
  • Les manigances en France et les prédictions de Litvinov en 1937 : « quand les Allemands en auront fini, ils se lanceront dans de nouvelles aventures, et se tourneront vers nous à Moscou pour conclure un pacte ».

Originalité de l’œuvre et pertinence d’une éventuelle publication en France :

On y découvre la vie culturelle suédoise à Paris : dans le bouillonnement créatif autour d’Aschberg, une rare concentration d’esprits éclairés tels que Braque, Matisse ou encore Arthur Kœstler côtoie les artistes scandinaves du foyer de la Brévière à Châtillon.

Mais on y découvre aussi ce qu’était la vie dans les camps de concentration français, notamment Vernet et Roland Garros.

L’atmosphère de l’époque renaît, par le biais de dessins et de poèmes de célébrités, mais aussi grâce à un style agréable souvent empreint de poésie (nombre d’artistes antinazis sont cités), aux descriptions précises des conditions de vie des réfugiés qu’Aschberg a accueilli dans ses propriétés rue Casimir Périer ou au château de la Brévière (politiciens, artistes, intellectuels allemands, tchèques ou espagnols, tels que Théodore Plivier ou Willi Munzenberg). Les thèmes abordés sont graves, mais la langue est claire et limpide.

Le livre ne cherche pas à être un lourd pamphlet, en témoignent les passages relatant la dure vie dans les camps qui, malgré leur caractère sombre, offrent un certain lyrisme. L’originalité du texte tient dans le témoignage extérieur de l’auteur et de nombre d’acteurs de l’époque. Il permettrait de rappeler aujourd’hui les occasions manquées, les erreurs commises (malgré l’appel de l’ambassadeur allemand Roland Koester, demandant en 1933 d’attaquer son pays avant qu’il ne soit trop tard, la mobilisation contre le danger nazi fut tardive). On y découvre qu’Aschberg – lui-même juif – avait prédit les risques et déboires du choix de la Palestine pour l’émigration juive, et qu’en 1938 il avait fondé le Cercle des Nations aux côtés de Joliot Curie, Jean Moulin et le prix Nobel Jean Perrin.

Pour plus de pertinence, la traduction de ce texte pourrait d’ailleurs être accompagnée d’une sélection d’archives privées laissées par Aschberg. Car la présence de l’ombre d’Aschberg sur Internet (où elle est parfois caricaturée) ou dans les publications historiques récentes confirme son actualité.