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« Le tropique du crocodile » de Jona Elings Knutsson présenté par Rachel ERDMANN

« Le tropique du crocodile » est le premier roman de son auteure. Jona Elings Knutsson a une formation de médecin et exerce dans un grand hôpital de Stockholm. Elle a aussi participé à un ouvrage collectif, poétique et polémique sur la souffrance au travail et dans la société.

Auteur : Jona Elings Knutsson
Titre suédois : Krokodilens vändkrets
Nombre de pages : 339
Années de publication : 2020
Editeur : Albert Bonniers
Agent : Madelene Andersson  madelene.andersson@bonnierrights.se
Presenté par : Rachel Erdmann, erdmann.rachel@wanadoo.fr

Elle ne nous entraîne pas dans les coulisses de son lieu de travail, mais appuie son récit sur une anecdote étrange et avérée : dans les années 70, Fidel Castro a offert deux bébés crocodiles au cosmonaute soviétique Vladimir Chatalov. Ils ont passé quelques temps dans la salle de bain de la famille du scientifique, puis ont été donnés au zoo de Moscou. En 1981, à la faveur de travaux de restauration dans le terrarium, les crocodiles cubains ont été envoyés à l’aquarium du zoo de Skansen, à Stockholm, où ils vivent toujours. L’espèce étant devenue rare à Cuba, certains de leurs descendants ont regagné l’île en 2015.

Cette histoire inattendue a fait germer dans l’esprit de Jona Elings Knutsson un récit étonnant qui nous fait partager la vie de Yonova Chatalova, la femme du cosmonaute en question, à Moscou en 1974, et celle de Malin Pettersson Carlsson, à Stockholm, de nos jours.

Ces deux femmes ont, contre toute attente, des destins et des préoccupations étrangement parallèles, sans que l’on comprenne tout de suite pourquoi. L’alternance des chapitres consacrés à l’une, puis à l’autre, nous promène entre deux mondes forts différents, deux époques, deux sociétés, et pourtant on sent très vite que des connexions imperceptibles existent entre les deux univers.

A la fin du roman on découvre que Malin est l’auteur du récit sur Madame Chatalova et les crocodiles, et qu’elle fait vivre à son héroïne l’écho de ses propres drames quotidiens de femme suédoise du XXIème siècle. Elle essaye ainsi, on le comprend peu à peu, de surmonter la perte d’un enfant mort né, épisode traumatique qui la conduit à vivre recluse dans son appartement, à affronter la solitude et le regard appuyé des voisins.

Elle transpose son destin en décrivant les affres dans lesquelles Yonova se débat, condamnée à une vie de femme au foyer, délaissée par un mari sans cesse absent, accaparée par des enfants à élever et deux crocodiles à supporter… Malin exorcise également dans cette chronique d’un quotidien soviétique bien particulier sa relation avec sa mère, passionnée par la conquête de l’espace et les exploits russes de l’après-guerre, dont les descriptions ont bercé son enfance.

Ce parallèle entre les deux femmes, longtemps fort intriguant, tient le lecteur en haleine jusqu’au bout. De plus il est doublé d’un humour persistant, qui surgit aussi bien dans la salle de bains de Stockholm que dans celle de Moscou. Yonova essaye par les moyens les plus rocambolesques de venir à bout des deux crocodiles prisonniers de sa baignoire pendant que Malin, enfermée dans sa propre salle de bains, mène des conversations désabusées avec sa mère ou son compagnon, au travers d’une porte qui rend ses propos presque inaudibles… Par ailleurs l’auteure alterne des descriptions très documentées de l’univers dans lequel évolue Yonova, avec les dialogues tout à fait réalistes qu’elle a avec ses enfants ou son mari.

L’environnement de Malin est moins « exotique » pour le lecteur, mais on partage ses pensées, ses angoisses et ses interrogations. Quand elle parvient à communiquer avec l’un ou l’autre, on devient témoin de ses échanges souvent compliqués.

Les indices déposés ça et là renforcent l’intuition qu’acquiert le lecteur au fil des pages que les destins croisés de ces deux femmes vont à un moment se rejoindre. Tout comme la fiction s’entremêle avec la réalité jusqu’à la note finale où « l’histoire vraie » des crocodiles, Hillary et Castro, est dévoilée. A l’issue de ce jeu de piste tout en rebondissements, on apprend, ultime pirouette, que Malin part à Moscou avec sa mère, sans avoir forcément l’intention de revenir….