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« Les brumes de Vineta » de Selma Lagerlöf présenté par Roger MARMUS

Couverture de livre

Selma Lagerlöf (1858–1940) est l’une des grandes figures de la littérature scandinave qui, encore aujourd’hui, jouit d’une grande notoriété. Ses livres se vendent et sont lus abondamment. Première femme à s’être vu décerner le Prix Nobel de littérature en 1909, elle a marqué son époque grâce à des nouvelles et romans fortement inspirés par la tradition orale du Värmland (au centre de la Suède). Ses ouvrages, ici des contes contenant des éléments fantastiques (Des Trolls et des hommes), là des récits plus réalistes essentiellement tournés vers le monde rural (La légende de Gösta Berling) lui ont assuré une renommée internationale. Son livre le plus célèbre, à la fois manuel de géographie et roman de jeunesse, Le Merveilleux Voyage de Nils Holgersson à travers la Suède (1906–1907), est longtemps resté, dans de nombreux pays, sur la liste des classiques à lire.

Auteure : Selma Lagerlöf
Titre suédois : Ett äfventyr i Vineta
Suggestion de titre français : Les brumes de Vineta
Nombre de pages : 45 pages
Année de publication : 1895 (puis en 1945, aux éditions Bonniers, Stockholm)
Éditeur : Envall & Kulle Konstförlag
Présenté par : Roger Marmus (roger.marmus@gmail.com)

Si les grands titres de son œuvre ont été régulièrement republiés en France (en particulier aux éditions Stock et Actes Sud), il demeure encore quelques écrits à traduire et à diffuser. La longue nouvelle Ett äfventyr i Vineta appartient à cette dernière catégorie, car elle est restée inédite en français, malgré ses qualités stylistiques. Elle a paru en revanche deux fois en Suède, tout d’abord de manière autonome, en 1895, sous la forme d’un album de Noël, puis dans le second volet d’un recueil posthume de différents écrits, sorti en 1945, Från skilda tider II (De différentes époques II).

Selma Lagerlöf a fait référence plusieurs fois dans sa carrière à la légende d’origine poméranienne d’une cité perdue au fond la Baltique : Vineta. Le destin d’une Atlantide nordique, qui a comblé son goût des contes merveilleux, sera également évoqué dans une autre nouvelle intitulée Dans Vineta, parue dans Les liens invisibles (1894), et dans un long chapitre du Nils Holgersson… (cité plus haut).

Ce thème est avant tout lié à un événement bien identifié dans la vie de l’auteur : un séjour touristique, en compagnie de son amie/amante, Sophie Elkan, en 1894, à Visby, l’ancienne cité hanséatique, située sur l’île de Gotland.

La référence à la cité perdue de Vineta confère, dans la nouvelle qui nous occupe, une aura étrange au récit, évoquant de possibles sortilèges. Le cœur de l’histoire est toutefois le portrait d’une jeune femme, Vera, perçue comme demeurée par les insulaires, objet de désir pour les uns, d’hostilité pour les autres.

Trois temps distincts rythment la nouvelle. D’abord intervient une lente traversée en bateau avec à son bord un touriste anglais, Edward Stone, qui, venant de Stockholm, se rend à Visby, une ville éteinte, dont les ruines rappellent la sanglante insurrection des paysans contre les envahisseurs danois à l’époque médiévale (en 1361). L’homme, qui porte en lui le souvenir douloureux de la disparition des siens lors d’un naufrage auquel il a lui-même échappé in extremis, se laisse envoûter par un chant entendu sur le bateau : La chanson de Vineta. À son arrivée, il aperçoit, à travers les brumes qui règnent sur la ville, la belle Vera, et en tombe immédiatement amoureux. Ensuite a lieu une longue rencontre de l’étranger avec des vieilles demoiselles, les sœurs Isfeld, gardiennes des secrets de Visby, qui lui confient, par le détail, le passé de la jeune Suédoise aux allures d’ange. Vera a déjà déclenché des passions, mais a dû subir une forme d’ostracisme en raison d’un supposé retard mental. De mauvaises liaisons, un mariage forcé pour éviter une vie indigente, et le suicide suspect, en mer, d’un mari devenu impotent expliquent par ailleurs la part sombre de la jeune veuve. Enfin arrive le temps du départ. Alors qu’il a pu déclarer sa flamme à Vera, Edward Stone comprend que son amour n’est pas partagé, qu’il n’a été qu’une illusion dont la vocation est de rester enfouie dans les souvenirs ou les rêves. Les secrets ayant été révélés, le bateau du retour avec l’Anglais à son bord quitte le port au moment où les brumes qui avaient envahi Visby se dissipent. Seuls demeurent les regrets, et les vestiges d’une ancienne malédiction. Visby était-elle l’incarnation de Vineta ?

La nouvelle s’inscrit dans le courant littéraire symboliste ; on ne sera pas donc surpris d’y retrouver les archétypes qui ont fait florès dans les récits de l’époque : les brumes perçues comme des maléfices, les musiques évanescentes qui déclenchent les souvenirs, les fonds marins inexplorés qui sont une porte d’accès à l’au-delà, etc. Ces figures d’inspiration préraphaélite sont au service d’une trame où se mêlent des rêves prémonitoires, des évocations des esprits, des aspirations au salut.