L'Institut suédois est fermé le 1er mai 2024.
Notice close

« Les Insouciants » de Horace Engdahl presenté par Elena BALZAMO

Horace Engdahl (né en 1948) occupe une place à part dans le paysage littéraire suédois. Il est l’auteur de remarquables ouvrages d’histoire de la littérature (Den romantiska texten : en essä i nio avsnitt, 1986, Stilen och lyckan : essäer om litteratur, 1992, ou encore Ärret efter drömmen (2009), qui attendent d’être traduits en français, mais également de plusieurs « mini-essais » aphoristiques tels que Meteorer (1999, fr. Café Existence, 2015), Cigaretten efteråt (2011, fr. La Cigarette et le Néant, 2014), Den sista grisen (2016, fr. Le dernier porc, 2018).

Auteur : Horace Engdahl
Titre suédois : De obekymrade
Nombre de pages : 102
Année de publication : 2019
Editeur : Albert Bonniers förlag
Présenté par : Elena Balzamo, elena.balzamo@free.fr

Ces derniers, composés de fragments de longueur variable, traitent des sujets tantôt « éternels », tantôt « éphémères », comme ceux d’actualité. Certains sont thématiquement liés entre eux et forment une sorte de « grappes » narratives, d’autres, surtout les plus longues, se referment sur eux-mêmes. L’auteur s’interroge sur l’essence et les apparences, sur les faits et les méfaits du pouvoir, sur l’ambition et ses mécanismes, sur l’indifférence, sur la vieillesse et le « décrochage », sur l’amour et sur ce que Strindberg appelait « la guerre des sexes ». Et bien sûr sur la littérature. Grand lecteur, fin connaisseur de la littérature de tous les pays et de toutes les époques, Engdahl fait découvrir au lecteur de nouvelles facettes même dans les œuvres qu’on croyait connaître par cœur.

Le petit volume d’une centaine de pages, muni d’un titre difficile à traduire (comme la plupart des titres de cet auteur), De obekymrade tranche avec la masse de pavés romanesques qui s’entassent sur les rayons des librairies en Suède, mais il s’insère parfaitement dans la suite des ouvrages cités, prolongeant la réflexion, retournant les questions, faisant preuve d’une liberté intellectuelle totale, combattant les aprioris.

*
La littérature doit se soustraire à tous les verdicts – même quand ils sont justes.
*
A l’instant qui précède l’exercice de la liberté, l’être humain ne sait pas encore qu’elle existe.
*
La vérité est l’enfant de la précipitation. Après, on se ravise, on se met à l’ajuster, de sorte qu’elle devient aussi contrefaite que chez les autres.
*
La presse est le phénomène le plus humain qui existe.
*
Je sais quelle est la première question que les diables posent à tout nouveau-arrivé en enfer : « Es-tu membre ? »
*
Le rôle de l’individu dans l’Histoire ? Tromper les masses.

Souvent provocateur, jamais hypocrite, détestant les doxas quelles qu’elles soient, démasquant les clichés, dénichant les failles de la pensée unique, revenant sans cesse aux auteurs classiques pour y chercher une ligne de pensée et de conduite dans le monde moderne, Engdahl fait une œuvre de salubrité publique : il force le lecteur à réfléchir. En cela, il se situe dans la lignée des moralistes allant de La Bruyère à Cioran, en passant par Rozanov et Christine de Suède. Cette dernière fait d’ailleurs figure d’exception dans les lettres nordiques, où le genre a très peu d’adeptes. D’autant plus intéressant et digne d’attention est le petit volume d’une des plumes les plus originales dans la littérature suédoise d’aujourd’hui.