« Les nouvelles » de Inger Edelfeldt présenté par Françoise SULE

”J’écris souvent sur l’identité. Ce en quoi nous tentons de nous transformer, ce que nous essayons de ne pas être. Je deviens qui dans ton regard, est-ce que je peux rester ”moi-même” et qui suis-je alors ? Comment est-ce que je me vois, à travers le filtre que forment mes désirs et mes craintes ?

Les personnages de ces nouvelles se rapprochent les uns des autres, essaient de se rencontrer et parfois y réussissent. Les émotions sont fortes, parfois déchainées. L’imagination fait vivre et trébucher à la fois.  L’humour typiquement edelfeldtien tel qu’on le définit est omniprésent, cet humour involontaire qui étincelle lorsque la vie imaginaire (souvent débordante) d’un de mes personnages est confrontée à une réalité extérieure, brute  sinon inattendue”.

Auteur : Inger Edelfeldt
Titre suédois : Novellerna
Nombre de pages de la sélection établie en accord avec l’auteur : 88 pages
Editeur : Norstedts mais les droits d’auteur appartiennent maintenant  à l’auteur, Inger Edelfeldt
Présenté par : Françoise Sule, francoise.sule@telia.com

Née en 1956 à Stockholm, Inger Edelfeldt est une romancière et artiste peintre suédoise. Elle a publié une quarantaine de livres depuis ses débuts en 1977 et son oeuvre est aujourd’hui reconnue en Suède et à l’échelle internationale. En plus de sa production littéraire, elle a aussi écrit des pièces de théâtre et illustré de nombreuses couvertures de livres. Elle travaille actuellement à un nouveau roman et prépare une grande exposition de peinture pour l’année 2021. Inger Edelfeldt a aussi une formation en coach de vie.

Son oeuvre se distingue par la variété des genres utilisée et ses nouvelles sont comparées à celles d’Alice Munro. Une anthologie de ses six recueils de nouvelles publiée en 2019 par la maison d’édition Norstedts a reçu un accueil chaleureux des lecteurs et des critiques.

En préface, l’auteure précise :
En accord et en collaboration avec Inger Edelfeldt cinq nouvelles de l’anthologie, représentatives de l’imaginaire de l’auteure ont été choisies.  Deux nouvelles sont les titres des recueils de nouvelles couronnés de prix et particulièrement remarqués ( à savoir Rit, Svenska Dagbladets litteraturpris 1991 et Den förunderliga kameleonten, Ivar Lo-Johanssons personliga pris 1997) et les autres nouvelles font partie de l’anthologie éditée en 2019 et qui a eu des critiques élogieuses.

Le recueil Den förunderliga kameleonten (1995) a été édité en version française par Actes Sud (1999). Le choix établi en commun avec l’auteure  parmi ses recueils de nouvelles illustre bien sa thématique et son écriture. Le travail de traduction s’opère en étroite collaboration et en dialogue avec l’auteure.

Rit (Rite), 27 pages, du recueil Rit, 1991: un jeune couple branché  décide de se marier, lui est musicien dans un groupe de rock dur, elle  étudiante en antrophologie. Quelles conséquences a cette décision sur leur couple? un double regard sur le code culturel  ”lagom” suédois, la juste mesure, et sur la nécessité de créer ”la fête et le rêve” comme le précise la jeune femme.

Den förunderliga kameleonten (Le caméléon merveilleux), 14 pages, du recueil Den förunderliga kameleonten, 1995: une mère célibataire décide de porter une robe rouge pour aller à une fête. Sa fille adolescente réagit vivement et un conflit s’engage qui dévoile le désir et la crainte de devenir indépendante l’une par rapport à l’autre dans leur relation mère-fille.

Helena Petrens lediga dag (Le jour de congé de Helena Petrén), 22 pages, du recueil Den förunderliga kameleonten, 1995: une femme d’âge moyen, employée de banque, est sur le point de craquer. Elle se juge elle-même indépendante, mais a en fait une peur panique de tout ce qui ne suit pas les codes qu’elle a planifiés avec exactitude.  Elle se sent oubliée, incomprise, diminuée mais aussi incroyablement supérieure. Une étude subtile de la frontière fragile entre la peur et la haine de l’autre qui se déroule l’espace d’une journée dans un parc.

 Vi är stjärnstoft (Nous sommes de la poussière d’étoile), 12 pages, du recueil Kläderna (Les vêtements), 2017: Les années 70…la narratrice se souvient d’un incident qui s’est déroulé un été lorsqu’elle – l’adolescente de 14 ans, rêveuse, créative et un peu spéciale – a quand même le droit de suivre deux copines pour un séjour dans la maison de campagne de l’une d’elles. Un jeu sur l’identité et une rencontre avec quelques ”hippies” aboutissent à un roque dans la hiérarchie en place entre les jeunes filles, et l’ordre doit évidemment être rétabli. Une punition doit être donnée. Mais ce dont le personnage principal se souvient, 47 années plus tard, est différent de ce qu’on pourrait supposer. Quelque chose de beau et d’étourdissant. Le titre de la nouvelle est tiré de la chanson de Joni Mitchell sur Woodstock qui a sa place dans le récit.

Bättringvägen (En voie de rétablissement), 13 pages, du recueil Kläderna, 2017: un père alcoolique qui a réussi à cesser de boire va enfin pouvoir rencontrer sa fille qui avait 11 ans la dernière fois qu’il l’a vue. La situation dans laquelle il va se retrouver est fragile et touchante. Sa fille est une ado rebelle de 15 ans. Leur tentative de retrouvaille est rendue avec beaucoup de finesse et de doigté.

La prose d’Inger Edelfeldt est contrôlée, parfois sombre, mais empreinte d’humour et d’autodérision; Edelfeldt a le don de traduire le langage du quotidien, de capter les variations des échanges verbaux et des réactions humaines avec beaucoup de finesse. Les lieux sont souvent anonymes et les dates imprécises, mais ses nouvelles racontent notre époque dans leur intemporalité. L’auteure sait fracturer la façade de réserve propre à la société suédoise, sait créer en quelques pages des petites histoires qui parlent surtout de notre existence à tous.

”Certains de mes personnages font l’expérience de la précarité, mais ils savent aussi garder l’intégrité, la force et peut-être surtout le contact avec une sorte d’énigme enrichissante et vertigineuse, qui est l’existence en soi”, souligne Inger Edelfeldt.

Bienvenue dans l’univers edelfeldtien!

Un extrait de la nouvelle En voie de rétablissement – (2017) Inger Edelfeldt /traduction Françoise Sule

(…) Et le grand jour est arrivé. L’appartement est rangé. Les signes de rechute effacés. Regrettable, mais il y a eu une rechute. Il s’agit de se ressaisir. Se pardonner. Ne pas laisser entrer la voix du juge qui prétend qu’un bon père devrait plutôt mourir que de rechuter. Surtout quand cela est arrivé juste la semaine avant qu’il rencontre son enfant.  Car des choses pareilles arrivent. Des choses pareilles arrivent quand l’angoisse t’étrangle totalement et te maintient au-dessus du gouffre terrible, sans que tu aies prise, tard dans la nuit en te disant : tu ne vas plus jamais dormir, tu vas devenir fou. Tu ne seras plus ivrogne, mais fou.

Suis allé acheter un réconfort pour arrêter de trembler. Je tremble quand même maintenant; comme une vitre quand un train invisible passe devant, le train du passé. Tout le temps, le train, le tremblement. À l’intérieur. Et c’est impossible de ne pas dire Jamais plus; ce serait trop dur. Mais on peut re- essayer. Encore et encore, s’il faut. C’est juste à Yvonne que je dis Jamais plus. Qu’est-ce que je peux dire?

J’attends ma Luciole . Des vêtements propres, douché de frais. Aurais dû aller chez le coiffeur, mais c’était trop gênant, se dévisager dans une glace,mis à nu. La gueule d’un poivrot.

Elle devrait être là maintenant. Ce sont ses pas dans l’escalier? Non.

Yvonne a dit: ” Ne te bloque pas sur ses vêtements. Et surtout aucun commentaire. J’ai essayé. Si on discute, elle se braque encore plus. Mieux vaut ne rien faire, la laisser avoir sa phase”. (…)