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« Madonna » de Sara Villius présenté par Marina HEIDE

« J’écris sur ce dont on ne peut pas parler ». Voilà comment Sara Villius introduit en quelques mots son œuvre littéraire. Avec ce nouveau roman, elle aborde en effet entre autres l’un des tabous de notre époque : le désamour maternel.

Auteur : Sara Villius
Titre suédois : Madonna
Nombre de pages : 220
Années de publication : 2019
Editeur : Norstedts
Agent : NORDIK Literary Agency
Presenté par : Marina Heide, marina.heide@gmail.com

Née en 1976, Sara Villius fait beaucoup parler d’elle sur la scène littéraire contemporaine suédoise. Non pas qu’elle publie beaucoup, bien au contraire. Elle écrit peu, mais bien. Voilà plus de dix ans que les lecteurs attendaient un nouveau roman, depuis le succès de Sex (Sexe) paru en 2008. Entre temps, elle a signé deux albums pour la jeunesse très appréciés du public – Serpent rêve (Om orm) et La nuit (Natten), récemment publiés en français chez Cambourakis (septembre 2019 et février 2020, trad. Catherine Renaud). Elle pèse donc ses mots, comme le démontre brillamment ce dernier titre, succès autant critique que de librairie. Aucun de ses romans n’a été traduit en français pour le moment.

Tout commence par un baiser dans une station de métro. Entre « moi » et « toi », une jeune femme qui attend sans le savoir son troisième enfant et un homme plus âgé, son ancien professeur de création littéraire, un dramaturge reconnu. À partir de ce jour, la narratrice fantasme de plus en plus sur cet homme. Peu de temps après la naissance de son enfant, un troisième fils, elle le recontacte et il devient son amant.

En tant qu’écrivaine, elle travaille à la maison. Mais elle étouffe à force de rester cloîtrée chez elle. Elle a beau avoir conscience qu’elle ferait mieux d’écrire ou s’occuper de la maison, elle passe ses journées au lit ou à ressasser son lourd passé familial. Elle s’imagine volontiers veuve, privée de ce mari qu’elle pense ne plus aimer. Apprendre qu’il la trompe ne lui fait ni chaud ni froid. Son rôle de mère, elle le considère comme un fardeau. Elle n’exprime guère d’amour pour les trois garçons qu’elle a mis au monde et qui ont transformé son corps à jamais. Ils font partie du décor, voilà tout.

Elle commence à écrire un roman à quatre mains avec son amant. Mais quand leur aventure prend fin, celui-ci s’approprie tout leur travail qu’il adapte en pièce de théâtre. Elle-même a du mal à vivre de sa plume et se voit contrainte d’accepter des petits boulots. Quelque temps plus tard, elle prend un amant beaucoup plus jeune qu’elle cette fois. Malgré les aventures, elle ne quitte jamais son mari et lui non plus. Finalement, peut-être que la flamme qui les a unis un jour brûle toujours quelque part au fond d’eux.

Cette autofiction est d’un réalisme brut, presque cru, grâce à une langue sensorielle, franche et dépouillée, qui fait la part belle aux détails. La scène de l’accouchement, en particulier, ne peut pas laisser insensible. Baby blues, dépression post-partum, peu importe le nom qu’on lui donne, l’auteure décrit finement le bouleversement psychologique que connaissent de nombreuses femmes à la naissance d’un enfant, qu’il soit le premier ou le troisième. Voilà un thème assez populaire en ce moment, qui saurait donner au livre un intérêt certain auprès du grand public.

La narratrice, sorte de Madame Bovary des temps modernes, a tout d’une anti-héroïne. Elle est déprimée, égoïste et paresseuse et pourtant – ou peut-être précisément pour cette raison – profondément attachante. Comme le suggère la couverture du roman, c’est bien la Madone d’Edvard Munch, le célèbre peintre expressionniste norvégien, qui prend vie ici : un modèle de femme complexe, provocant, loin du rôle de mère qu’on veut lui attribuer, et foncièrement actuel.

Madonna est un roman impressionniste, fait de courts chapitres parfois d’à peine quelques lignes, qui évoqueraient presque des poèmes en prose. Le lecteur est plongé dans les pensées noires de la narratrice, qui vont et viennent dans le temps au gré des associations d’idées. Il y a pourtant une progression chronologique et ce court texte finit par traverser bien des années. Les personnages ne sont désignés que par des termes génériques comme « moi », « toi », « mon mari », « l’aîné », « le cadet », « la voisine », « le collègue », ce qui donne au discours une dimension universelle. L’aspect métalittéraire est important, puisque l’on comprend au fil de la lecture que la narratrice est en train d’écrire le roman qu’on tient entre les mains.

En somme, c’est un texte recherché, d’une grande qualité littéraire, sur un thème profondément d’actualité.