« Andromède » par Therese Bohman présenté par Rachel ERDMANN

Andromeda n’est pas l’œuvre d’une débutante : Therese Bohman a publié son premier roman en 2010, il a d’ailleurs été traduit en 2011 chez Balland sous le titre La Noyée (traduit du suédois par Carine Bruy). Deux autres ont suivi, avant Andromeda. Elle est également journaliste culturelle et critique littéraire.
Ce court roman, publié fin août 2022 (en Suède, c’est déjà la rentrée) a été salué par la critique, et il a passé plusieurs semaines en bonne place dans la liste hebdomadaire des 10 meilleurs livres publiée chaque vendredi par le Dagens Nyheter, grand quotidien national, une référence.

Autrice : Therese Bohman
Titre suédois : Andromeda
Nombre de pages : 200
Année de publication : 2022
Éditeur : Norstedts
Contact : Nordin Agency, siri.lindgren@nordinagency.se
Présenté par : Rachel Erdmann, erdmann.rachel@wanadoo.fr

Ce roman a pour sujet la relation qui se noue entre un éditeur vieillissant et une jeune stagiaire éprise de littérature. Mais la description qu’il nous offre de la rencontre de ces deux personnages échappe à tous les stéréotypes.

Chacun des deux personnages est le « je » narrateur de sa moitié du livre. Sofie nous fait la première pénétrer dans les coulisses d’une grande maison d’édition à Stockholm, dont on sent d’emblée que l’auteure connait les codes et les rouages. Elle prend ses fonctions de jeune stagiaire peu sûre d’elle, mais sincère et  férue de littérature. On s’y identifie volontiers. Elle prend peu à peu ses marques, ose donner son opinion au détour d’une réunion, de sorte qu’elle est remarquée par Gunnar, pilier de la maison, éditeur exigeant, en fin de carrière, épris de culture classique et maltraité par des contraintes commerciales de plus en plus envahissantes. Une relation professionnelle faite de respect mutuel, de complicité intellectuelle intense, et d’une certaine forme de tendresse, jamais avouée, se noue entre les deux solitaires.
Une relation exclusive, fusionnelle, qui les met en marge de l’équipe : la caricature et les ragots vont sans doute bon train, la jalousie s’en mêle certainement, mais ils font équipe à eux seuls et n’ont besoin de personne.

Dans la deuxième partie, c’est Gunnar lui-même, cette fois, qui fait le récit de de sa vie, de ses apprentissages, de son ascension, et de sa marginalité chronique.
Une sorte de puzzle se complète alors : on élucide des choix qui sont faits dans la partie précédente, on obtient l’explication de petites énigmes glissées ça et là et surtout on comprend à quel point l’armure professionnelle cache les fêlures personnelles.
Gunnar nous livre à son tour sa vision du monde littéraire, et nous dévoile sa perception de la relation avec Sofie.

Les deux points de vue sur le monde éditorial et la vie qu’on peut y mener se complètent et s’entremêlent, et nous rendent complices de cette relation : nous devenons confidents des deux personnages, et les pensées de l’une éclairent les interrogations de l’autre, tout comme le récit de la vie de Gunnar nous permet de répondre aux questions que se pose Sofie. C’est cette position dans laquelle l’auteure place le lecteur qui fait une des forces de de ce livre.

Tout comme ses personnages, Therese Bohman est exigeante. Elle ne cède pas à la facilité, elle irrigue son récit de leurs références : le roman porte le nom de la collection lançée par Gunnar, et il l’a choisi en référence à la poésie de Sapho qu’il a été amené à traduire en suédois dans sa jeunesse. Elle décrit l’univers de son roman avec précision, et déroule la chronologie de chacun de ses personnages telle qu’il la vit. Les propos des uns et des autres nous sont rapportés, comme si le narrateur ou la narratrice nous faisait le compte-rendu de ce qu’il a vécu. Le récit est d’ailleurs entièrement au passé, ce qui renforce l’atmosphère de mélancolie qui plane sur la personnalité de Gunnar, et les valeurs que les deux personnages incarnent.

Ce récit habilement construit, ancré dans la vie intellectuelle stockholmoise, offre au lecteur français le dépaysement d’un voyage dans un univers très explicite. Il invite aussi à la rencontre avec deux personnages dont l’humanité, elle, n’a pas de nationalité.