« Antarctique » par Josefin Holmström présenté par Laure-Hélène DARDELAY

Écrit en 2013, Antarctique est un roman qui nous fait voyager, d’abord vers ce continent de glace, où le silence et le froid règnent, mais aussi dans le temps, à la rencontre des premiers explorateurs du pôle Sud. Le roman se construit autour de deux histoires principales : d’abord celle de Gertrude, notre narratrice, une jeune femme qui à la suite d’un drame survenu dans son adolescence – drame qui ne sera complétement dévoilé que vers la fin du livre – se prend de passion pour l’Antarctique, sa découverte et son histoire, et décide de partir en expédition sur le continent. Nous suivons également l’histoire de Robert Falcon Scott, l’explorateur polaire britannique, dont la mission au pôle Sud se terminera tragiquement, avec la mort de tous les membres de l’expédition.

Titre original suédois : Antarktis
Auteur : Josefin Holmström
Nombre de pages : 101 pages
Éditeur : Norstedts
Année de parution : 2013
Contact : Sofia Odsberg, sofia.odsberg@norstedts.se
Presenté par : Laure-Hélène Dardelay, laurehelenedardelay@gmail.com

Le livre est découpé en plusieurs chapitres, ne portant pas de titre. Au début, les histoires de Gertrude et de Scott sont parallèles, chaque chapitre alternant entre le présent, l’histoire de Gertrude se déroulant à notre époque, et le passé, l’histoire de Scott, dont l’expédition se déroule au début du XXème siècle. Très vite, les deux histoires finissent par s’entremêler : au sein d’un même chapitre, les deux expéditions – celle de Gertrude et celle de Scott – se mélangent, ainsi que les histoires personnelles des deux personnages. Scott qui, au début du roman, n’était que simple personnage, devient peu à peu lui aussi narrateur. Il est le narrateur de sa propre expédition, mais il est également parfois celui de celle de Gertrude. Plus le roman avance, et plus il est difficile de distinguer qui est le narrateur, si nous suivons l’expédition de Gertrude ou bien celle de Scott, et si nous sommes dans le rêve ou bien dans la réalité. Cette confusion est voulue de la part de l’auteur, et constitue l’une des impression les plus marquante du roman. Le lecteur se retrouve perdu dans l’histoire, au même titre que les personnages se retrouvent perdus dans ce décor de glace.

Les deux expéditions ne sont pas les seuls propos du roman, qui est constitué aussi de ce que l’on pourrait qualifier de « sous-intrigues », toutes participant à nous faire comprendre la psychologie des personnages, à savoir pourquoi Gertrude et Scott sont parti faire cette expédition au bout du monde.

Il y a d’abord l’histoire du triangle amoureux, entre Gertrude, Jonathan et David. Sous forme de flash-backs dans différents chapitres, nous en apprenons plus sur la relation amoureuse qu’entretenaient Gertrude et David dans leur adolescence, mais aussi de l’attirance qu’éprouvait Gertrude pour Jonathan, le frère de David. La mort de ce dernier, survenue bien des années avant l’expédition de Gertrude, est racontée seulement vers la fin du roman et est la raison principale qui l’a poussée à s’intéresser à la glace, au Pôle Sud et à Robert Falcon Scott.

En partant pour l’expédition, Gertrude retrouve Jonathan, qui avait disparu après la mort de son frère. C’est la première fois que les deux se revoient, après des années sans nouvelle, et cette rencontre fait remonter chez Gertrude différents sentiments contradictoires. Ses sentiments auront un impact direct sur l’intrigue principale, son expédition.

Plusieurs flash-backs nous en apprennent également plus sur l’histoire personnelle de Scott : son enfance, la rencontre avec sa femme, la naissance de son fils. Nous voyons dans ces passages tout le travail de recherches de l’auteur pour nous fournir un portrait très humain de l’explorateur. Une autre sous-intrigue concernant Scott a son importance, puisqu’il s’agit de sa rivalité avec l’explorateur norvégien Roald Amundsen. Celui-ci est historiquement le premier à rejoindre le pôle Sud, avant Scott. Bien que l’auteur ai choisi de montrer l’expédition de Scott comme étant la principale de son histoire, celle d’Amundsen est également racontée. Cela se fait cependant de manière partielle tout au long du roman, et aide l’auteur à dépeindre l’état d’esprit de Scott durant le calvaire qu’il vécu au Pôle Sud. Scott et Amundsen ne se sont jamais rencontrés, mais cette injustice a été réparé par l’auteur, qui nous offre une confrontation finale saisissante entre les deux hommes.

L’écriture d’Antarctique peut paraître surprenante au premier abord, le roman s’inspire en fait beaucoup de l’écriture typique d’un journal de bord. C’est ce type d’écriture que l’on retrouve dans les journaux intimes que Scott tenait lors de son voyage, et cela permet une immersion du lecteur encore plus forte. La narration est très découpée, nous voguons d’une époque à une autre, d’un souvenir à l’autre, parfois en ne sachant pas si nous nous trouvons dans le présent ou le passé. Les descriptions, notamment du paysage, de la glace, sont courtes, simples mais profondes, et nous plongent dans cet univers froid, glacial, impitoyable – adjectifs que l’on pourrait aussi utiliser pour décrire le style d’écriture utilisé – tranchant, mais magnifique.

Les lecteurs français continuent, depuis plusieurs années maintenant, de porter un intérêt tout particulier à la littérature provenant du Nord, notamment suédoise. Le froid, la glace, les aurores boréales, les paysages inhospitaliers, tout ce qui fait partie de l’imaginaire du Nord, sont des thèmes que recherchent les lecteurs français quand ils décident de lire un livre provenant d’un pays nordique. Tout cela se retrouve dans Antarctique, qui est un roman d’expédition, de voyage, un roman scientifique, glacial, glaçant, mais également un roman d’amour, de douleur, de deuil.

L’aspect scientifique du roman est très important, mais n’est pas particulièrement complexe. Le lecteur y apprendra beaucoup de choses, sur le pôle Sud et sa vie de tous les jours, mais aussi et surtout sur les explorations de Scott et Amundsen. Aussi, le lecteur ayant déjà des connaissances sur ces deux expéditions sera ravi de les découvrir sous un angle nouveau, plus vivant. Quant au lecteur qui découvre cette partie de l’histoire, il apprendra beaucoup, sans avoir non plus l’impression de se trouver devant un manuel d’histoire ou de science. Le vocabulaire utilisé est concret, ancré dans une expérience incarnée, et ne recule pas devant les descriptions des effets du froid sur les corps des hommes, mais aussi de leur résignation, de leur renoncement. Toute la puissance de ces passages réside dans ce qui n’est pas dit, ce qui est omis, ce que le lecteur doit imaginer.

Née en 1986 à Södertälje, près de Stockholm, Josefin Holmström est écrivaine et critique littéraire. Diplômée d’un master en littérature anglophone à l’université d’Oxford, ainsi que d’un doctorat dans le même domaine à l’université de Cambridge, elle débute sa carrière littéraire en 2013 avec le roman Antarktis (Antarctique), pour lequel elle a été nominée au Katapultpriset, prix littéraire décerné chaque année par l’Association des Écrivains Suédois. Elle a écrit par la suite deux autres ouvrages : le roman Samuel är mitt namn (Samuel est mon nom), paru en 2017, ainsi qu’un essai sur la poète américaine Emily Dickinson, Emily Dickinson och vulkanerna (Emily Dickinson et les volcans), paru en 2019. La poète, dont on retrouve la mention également dans Antarctique, occupe une part importante dans la vie d’Holmström, qui lui a consacré toute sa thèse ainsi que plusieurs essais sur sa poésie.

Josefin Holmström a reçu en 2019 la bourse spéciale de la fondation d’édition suédoise Natur & Kultur, récompensant sa contribution littéraire et encourageant la poursuite de son travail. Elle a reçu également une autre bourse, l’année suivante, la bourse de voyage Beskowska, remise par l’Académie Suédoise. La même année, en 2020, Holmström a reçu également le Prix littéraire d’Hiver, prix qu’elle partage avec deux autres auteurs, décerné par l’Académie des Neuf, une académie littéraire suédoise réputée, promouvant la littérature, la paix et le droit des femmes.

En parallèle de la littérature, Josefin Holmström est critique et rédactrice pour le journal suédois Svenska Dagbladet, depuis 2011. Elle écrit principalement des articles dans les sections « débat » et « nouvelles culturelles » du journal.

Extrait de traduction :

Je pense à la glace : Banquise. Nouvelle glace. Glace fondue. Glace compacte. Glace chevauchante. Glace en crêpe. Champs de glace. Glace flottante. Morceaux de banquise. Cristaux de glace. Glace congelée. Une belle pluie de glace. Du givre. De la neige. Craquante, crissante neige, neige fraîche, tourmente de neige, neige congelée. Qu’est-ce que la glace avait de si dangereux ? J’aime la glace. Yeux bleus de glace, reines de glaces, palais de glace. Les fameux mirages. Le journal de Karl Weyprecht que j’ai lu à la bibliothèque, en Suède, les châteaux de glace de l’équipage et des villes entières, les symphonies glacées, le tintement de la glace quand j’étais petite – nous la frappions pour entendre si elle résistait, si elle chantait à l’intérieur. Des navires coincés dans la banquise. Les lames des patins à glace, les vagues, les motifs. Les cercles. Ces images défilent dans ma tête lorsque nous nous élevons au-dessus des folies, tour à tour transpirants et gelés, interdits par le froid d’ouvrir la bouche pour échanger quelques mots.

J’essaye de le raconter à Jonathan, que j’ai atteint la fréquence de Scott, qu’il diffuse la radio directement dans mon cerveau, mais mes lèvres sont congelées.

Scott : Le dos droit. Sois dur avec lui. L’équipage doit obéir. Le choix du copilote est de la plus haute importance. C’est toi le capitaine. Toi qui dois laisser de côté l’affection. Les sentiments, les pensées. Futile. Seulement marcher.