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« Au pair » de Cecilia Hansson présenté par Françoise SULE

Cecilia Hansson, née en 1973 à Luleå au nord de la Suède est poète, traductrice et journaliste indépendante. Elle vit à Stockholm. Licenciée en lettres, elle traduit des auteurs de langue allemande en suédois. Elle fait partie de PEN et de l’Union des écrivains suédois dont elle a été membre du bureau de 2013 à 2018.

Autrice : Cecilia Hansson
Titre suédois : Au pair
Nombre de pages: 170
Année de publication : 2019
Éditeur : Natur&Kultur
Présenté par : Françoise Sule, francoise.sule@telia.com

Durant de nombreuses années, Cecilia Hansson a voyagé comme journaliste entre Stockholm, Vienne, Bucarest et Budapest. Son essai Hopplöst, men inte allvarligt : konst och poli­tik i Centraleuropa (Désespérant, mais pas grave : art et politique dans l’Europe centrale) publié en 2017 rassemble 18 entretiens avec des intellectuels respectés d’Europe, entre autres Herta Müller , Peter Nadas, Marina Abramovic

Son roman Au pair (Au pair) est publié en 2019. À cette occasion Natur& Kultur, sa maison d’édition, réédite en un seul volume les trois recueils de poésie de Cecilia Hansson, Diktsamlingar (Collections de poèmes) avec Revbensdagar, morgnar (2002 -Jours intercostaux, matins ), Tänj min hud. En förvandling (2005-,Distends ma peau. Une transformation), Spegelsken (2008- Le reflet du miroir).

Cecilia Hansson reçoit en 2019 le prix Sorescu à l’institut culturel roumain de Stockholm pour son œuvre.

Au pair a reçu d’excellentes critiques en Suède et a touché un large public de lecteurs par la justesse de ton de l’écriture qui présente la banalité du quotidien avec spontanéité et drôlerie. Lire Au pair, c’est comme discuter avec une amie un peu paumée, un peu névrosée, mais tellement humaine. La littérature est un outil utile et efficace pour étudier la comédie humaine. Cette jeune autrice sait en faire usage avec talent.

Le roman de Cecilia Hansson est une réflexion sur la raison pour laquelle certains événements nous marquent profondément, une étude sur les découvertes, les expériences cocasses ou dramatiques vécues par une jeune fille suédoise de 19 ans durant son année comme au pair.

Chacun peut juger avoir raté ou/ et réussi sa vie. L’un n’exclut pas l’autre. C’est ce questionnement qui parcourt le roman autobiographique Au pair de Cecilia Hansson.

AU PAIR

Lorsque mon cœur bat au rythme du temps, lorsque ses ventricules sont parallèles et également forts. J’écris alors l’histoire de mon année comme au pair.

                                                              *

Tout d’abord je vais chez une famille sans âme loin en dehors de la ville. Trois enfants, le fils aîné est violent. Ambiance extrêmement mauvaise, personne ne communique avec les autres.

La deuxième famille est tout le contraire de la première. Il est artiste, elle est une psychanalyste au beau milieu de sa carrière. Tous les deux sont obsédés par Freud. Un enfant de trois ans, énormément gâté.

Chez la troisième famille, je ne suis pas une au pair véritable, mais je me fais des amis pour la vie. C’est la maman qui me conduit au Wilhelminespital et au Allgemeines Krankenhaus quand je commence à avoir des troubles cardiaques, que mon pouls s’affole  et que des piqûres trombolytiques et un ECG sont le seul remède efficace .

                                                         *


Tout ceci résume l’histoire, et en même temps ça ne dit rien du tout sur elle.

La situation d’un.e au pair est souvent paradoxale, car si le concept ” au pair” signifie ” à conditions égales”, les conditions ne sont plus aussi égales dans la vie quotidienne. C’est une situation sur laquelle on a peu écrit en littérature, peut-être parce qu’on l’assimile souvent à l’année sabbatique, avant que la ” vie réelle” ne commence ou bien parce que le fait d’être employé.e à ranger et changer des couches de bébé n’est pas considéré comme un mérite. Pourtant beaucoup de jeunes suédois partent comme au pair à l’étranger. Le récit de Cecilia Hansson leur rend en quelque sorte justice. ” Personne ne se vante d’avoir été au pair. Tous ceux qui cachent leur année à l’étranger, à la fin de l’adolescence avec des ” j’ai étudié le français à la Sorbonne” ou ” J’ai passé une année à Londres ” précise la narratrice.  La narratrice, alter ego de l’autrice, s’attend précisément à obtenir ces conditions ”égales” car elle pense que c’est ainsi que fonctionne la vie.

Mais tel ne sera pas le cas, ni avec ses familles au pair ni avec l’homme dont elle tombe amoureuse à Vienne, Walter son professeur d’allemand qui la séduit par son côté sophistiqué et désinvolte.  Le lecteur juge ce dernier à travers le regard du Je narratif qui, devenu adulte, ne cesse d’essayer de comprendre ce que cet épisode amoureux a signifié dans ce roman qu’elle écrit sur sa propre vie. Un faux pas de jeunesse, un incident sans importance ou une de ces moments décisifs lorsqu’on se retrouve totalement désarmé face à la vie.

Au pair se déroule dans une zone frontière entre la volonté, l’échec et le désir. Le roman aborde la question du pouvoir sous différentes formes, les rapports de pouvoir entre les hommes et les femmes, et entre les femmes entre elles.

Quand je suis revenue à Vienne, après avoir échoué en tant que femme, au pair, personne et amante, je n’avais pas l’intention de rencontrer Walter, je n’avais que l’intention de rencontrer Walter ”

La narratrice reviendra à plusieurs reprises à Vienne au cours des années suivantes– elle étudie la philosophie, devient traductrice, écrit de la poésie et des reportages, se marie et a un enfant, mais se trouve tout le temps en pensée autour d’un endroit, l’endroit à Vienne où tout est arrivé– ou n’est pas arrivé.

La structure du roman est un mélange de poésie et de prose, de fragments de souvenirs et de reprises qui forme un voyage intérieur dans la mouvance d’une durée narrative indéterminée- les peines et les joies de l’existence arrivent simultanément.  Un récit de formation entre la vie comme parent, le premier grand amour et une rupture, raconté avec limpidité et précision entre deux villes, Stockholm et Vienne.

Une sorte de début

Quand je me rends à Erstagatan pour être infidèle, c’est le printemps et j’ai 31 ans. J’ai été enfermée dans une liaison pendant quatre ans, je brise maintenant mes chaînes.

Lui, il est juste quelqu’un qui s’est trouvé sur mon passage. (…) Partir pour Vienne est la première chose que je fais. M vient me chercher à Schwechat, cet aéroport à la fois grandiose et provincial. Notre relation amoureuse est terminée depuis longtemps, M a une petite amie avec qui il vit et je dois me concentrer sur la rédaction de mon deuxième recueil de poésie. (…) il ne parlera que d’une seule personne- moi. De la douleur ressentie quand tout éclate et comment s’en sortir. D’être adolescente et avoir un corps qui ne s’adapte pas aux couloirs d’école. D’être une fleur qui pousse en dehors des plates-bandes.”

Et se termine ainsi :

”Une sorte de début, III

La nuit : l’air dans la cage d’escalier est froid et sec, comme de la terre mélangée à de l’air. Je monte silencieusement les escaliers jusqu’à ma chambre de location. Dans la neige, mes traces
La tempête qui ne se calme pas.
Le temps qui ne s’arrête pas adopte seulement une autre forme.
Que cela a pris quinze ans avant que j’ose passer devant la maison de Walter.
Que c’est de moi et non de toi dont cette histoire parle.”