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« Je vois tout ce que tu fais » de Annika Norlin présenté par Isabelle CHEREAU

Annika Norlin est connue, reconnue et appréciée en Suède depuis 2005 comme chanteuse des groupes pop Säkert! et Hello Saferide. Son entrée dans le monde littéraire a été très remarquée. Le recueil de huit nouvelles « Jag ser allt du gör » a reçu un accueil enthousiaste des lecteurs et des critiques à sa sortie en avril 2020. On y découvre un humour parfois acide, des émotions souvent à fleur de texte et, toujours, une réalité intime des personnages qui ont les mêmes racines que leur auteure : le nord de la Suède.

Autrice : Annika Norlin
Titre suédois : Jag ser allt du gör
Nombre de pages : 219 pages
Nombre de nouvelles : 8
Années de publication : 2020
Editeur : Weyler
Présenté par : Isabelle Chereau, isabelle.chereau@me.com

Jusqu’où doit-on marcher pour fuir le deuil ?
Peut-on acheter un compliment ?
Qui aime Sylt Järvinen ?

Annika Norlin est journaliste, auteure, compositeure, interprète et bientôt diplômée en psychologie. Son premier recueil de nouvelles, Je vois tout ce que tu fais, évoque avec beaucoup de justesse ce qu’est être un homme, une femme, un enfant et comment aborder la vie quand elle grince. Les huit nouvelles parlent d’amitié et de deuil, de réussite et d’amertume, d’hier, d’ici et d’ailleurs.

Je vois tout ce que tu fais est bel et bien un recueil de regards.

Le regard porté par Les Enfants, Margit et Jan, sur les disputes récurrentes de leurs parents, surtout les soirs de week-end, quand leur maman a envie de parler de son travail et que leur papa, allongé sur le canapé, veut simplement sentir au fond de lui que la semaine est finie. Alors quand la maman de Margit et Jan ouvre une bouteille de vin, les enfants savent que les émotions vont sortir et que l’éruption est inévitable.

Le regard d’un jeune garçon qui voit La Pute balte, nouvelle femme de son voisin, venir s’installer dans la maison d’à côté, et qui observe les changements subtils liés à cette arrivée. Le père Fogdö retrouve le sourire, lui qui ne connait que la colère. Le fils Fogdö se met à parler anglais alors qu’il n’aime vraiment pas ça. La table du jardin est dressée comme un jour de fête pour le petit déjeuner. Tout cela grâce à cette pute balte qui n’est probablement ni pute ni balte.

Le regard d’une adolescente sur l’amour. Agnes veut nous confier la vérité sur son grand amour, The Greastest love of all. Agnes n’a qu’un bras et les plus gros seins de la ville. Elle aime Sylt Järvinen. Elle aime faire la fête avec sa copine Anna-Karin. Elle n’aime pas Jonas mais Jonas aime ses seins et il va en crever si elle ne le laisse pas les toucher. Agnes ne dit rien quand Jonas touche ses seins, elle ne dit rien quand il touche le reste, ni quand il baisse son pantalon. Mais sa plus belle histoire d’amour, c’est toujours Sylt Järvinen. La plus belle histoire d’amour qui ait jamais été racontée.

Ils sont restés dans les villages d’où les autres sont partis, là où « il y avait une équipe de foot et maintenant il n’y en a plus », là où on n’a pas envie de rester même si « les cafés sont ouverts seulement le week-end, pendant l’été ». Ils habitent ce nord de la Suède où l’on mange une tartine de rôti d’élan au petit déjeuner.

Annika Norlin décrit tous ses personnages atypiques avec un regard tendre pour l’humain et une compassion palpable, particulièrement dans la dernière nouvelle : Aller. Une femme partage son chemin avec le lecteur, celui sur lequel elle marche et celui qu’elle fait, après la mort de son enfant. Un jour elle sort de chez elle et se met à marcher. Pourquoi ne pas continuer encore un peu plus loin, rendre visite à une amie? Celle-ci l’accueille, lui désigne le canapé, lui apporte du renne sauté puis la laisse là : elle a une thèse à écrire, elle. Et la femme de constater que, vraiment, son amie est « une pro du deuil ».

A l’instar de celle de Jonas Karlsson, l’écriture de Annika Norlin est à la fois sobre et subtile. Elle va à l’essentiel, ne s’encombre pas d’adjectifs et se concentre sur ce qui se passe, le noyau épuré de la narration. Les dialogues et les jargons pourraient faire penser à un livre pour enfant, mais destiné aux adultes. Ne pouvant s’appuyer sur une mélodie faite de notes pour exprimer les sentiments, l’auteure les cherche à travers les mots. Un défi pour cette chanteuse qui écrit ses nouvelles en pensant à la musique, aux refrains, au tempo marqué par des changement de temps du récit et au moment où les instruments à cordes font leur entrée.

On retrouve dans la prose d’Annika Norlin ce qu’on aimait dans ses chansons : des uppercuts du quotidien, des phrases choc à l’humour décalé et une contemplation sous-jacente, qui coupent le souffle. Les nouvelles de Je vois tout ce que tu fais voyagent à travers les forêts du nord, la Suède profonde, ses habitants, à travers les âges de la vie, à travers les yeux de ces personnages auxquels on ne peut que s’attacher. L’auteure nous emporte, nous étonne, nous émeut avec une efficacité imparable.