« Le Cœur » par Daniel Bergman présenté par Jean-Baptiste BARDIN

L’histoire de Daniel Bergman n’est pas simple. Fils du célèbre cinéaste [1] et de la pianiste concertiste Käbi Laretei, il est délaissé dès son plus jeune âge par ces parents égocentriques, obsédés par la création artistique et par leurs carrières. À onze ans, il abandonne peu à peu l’école pour devenir projectionniste aux côtés d’un vieil homme dans un cinéma stockholmois. Poussé par son père (plus qu’encouragé), il tourne son scénario des Enfants du dimanche  et accède à la notoriété mondiale à l’âge de 29 ans. Durant un an, il fréquente les festivals et la fine fleur du cinéma mondial, puis devient assistant de Tarkovski. Mais ses films suivants sont boudés par le public et par la critique. En pleine crise créatrice, il se tourne (au grand désespoir de son père) vers la carrière médicale et devient ambulancier. Puis, fait rarissime, il est simultanément diagnostiqué en 2017 d’une grave malformation cardiaque et d’une sclérose en plaques, qui l’obligent à mettre fin à sa carrière.

Auteur : Daniel Bergman
Titre suédois : Hjärtat
Nombre de pages : 432
Année de publication : 2022
Éditeur : Polaris
Contact :  Politiken Literary agency, sigrid.stavnem@jppol.dk
Presenté par : Jean-Baptiste BARDIN,  jeanbaptiste.bardin@gmail.com

Daniel Bergman écrit alors son premier livre Le Cœur et on sent combien cet ouvrage a été longuement mûri. Il y raconte son histoire de manière non chronologique, comme pour mieux réinterpréter les grands événements de sa vie. L’ensemble prend la forme d’une lettre à sa fille adolescente : cette fille qui n’a pas connu son grand-père mais en porte le lourd héritage, qui a vécu très jeune la peur de perdre ses proches et qui ne connaît pas (encore ?) le malheur d’être artiste.

Daniel Bergman n’exprime ni rancœur ni amertume. Si la description de ses parents est sans complaisance, le récit ne bascule jamais dans le règlement de compte (sa cible était pourtant toute trouvée). Cela ne l’empêche pas, toutefois, d’entrer dans certains  détails, décrivant par exemple une conversation (digne d’un film de Bergman père) où la mère et le fils tentent d’expliquer pourquoi ils ne se sont jamais aimés.

Le père, on l’imagine, accueille très mal les choix de ce fils qui lui tient tête et se tourne vers la carrière médicale. Il apparaît ici comme une ombre, planant au-dessus de Fårö, où Daniel Bergman continue de faire de longs séjours. Le fils semble d’ailleurs partager l’attrait presque mystique de son père pour cette île, magnifiquement décrite ici.

Daniel Bergman pose des questions vertigineuses et les partage avec sa fille, comme avec ses lecteurs : Est-on plus utile comme artiste ou comme infirmier ? Quelle responsabilité portons-nous en tant que parents ? Quelle trace voulons-nous laisser ? Le Cœur est un livre où se superposent de nombreuses couches : les hommages rendus à ses parents sont d’une sincérité bouleversante, de même que la déclaration d’amour à sa fille ou que les pages sur le corps médical.

Depuis quelques années, la vie de Daniel Bergman est fragile. Et le lecteur imagine que c’est sans doute cette peur de la mort qui a poussé l’auteur à vouloir témoigner à sa fille de ce que signifient pour lui le lien filial, la création artistique, la pratique d’une profession médicale. L’amour des autres.

[1] Dont on attend la publication de deux ouvrages inédits, les « Carnets 1955-2001 » (éd. Carlotta, 2022) et le scénario jamais tourné « Soixante-quatre minutes avec Rebecka » (éd. Belloni, 2023).