« Le théatre anatomique » de Linda Örtenblad présenté par Francoise SULE

Linda Örtenblad est autrice et bibliothécaire. Elle a été matelot sur un bateau à vapeur dans l’archipel de Stockholm et a aussi rénové des maisons anciennes. Son roman Den anatomiska teatern publié en 2004 est nominé pour le prix du premier roman du Borås Tidning. De 2008 à 2010, elle étudie la création littéraire à l’université de Göteborg. Avec quatre collègues- écrivaines, elle crée le groupe Vinthundarna qui organise des événements littéraires. Ce groupe encourage la lecture critique collective des textes publiés par ses membres. Örtenblad a été publiée dans des magazines littéraires suédois renommés comme Lyrikvännen et Kritiker.

Autrice : Linda Örtenblad
Titre suédois : Den anatomiska teatern
Nombre de pages : 211
Année de publication : 2004
Éditeur : Albert Bonniers Förlag
Contact : info@albertbonniers.se
Présenté par : Françoise Sule, francoise.sule@telia.com

Dans les trois histoires qui composent le roman Den anatomiska teatern (Le théâtre anatomique), le corps est l’élément essentiel de la scène, mis au centre, comme dans le vieux théâtre anatomique de l’université de médecine d’Uppsala où on pratiquait des autopsies. Le médecin légiste faisait un examen systématique de toutes les parties du cadavre en le disséquant. De même les personnages des trois histoires cherchent aussi des réponses à l’intérieur de leur propre corps, examinent les transformations physiques dans lesquelles ils ont été entrainés contre leur volonté. Cependant ils ne trouvent pas facilement réponse aux questions existentielles soulevées.

La jeune femme de l’histoire Kroppens tal (Le plaidoyer du corps) est enceinte, et travaille avec son compagnon dans un élevage d’écrevisses. Mais le fœtus disparait mystérieusement, et le corps de cette femme est présenté comme un imposteur dans sa réaction à la maternité. La perte provoquée par une fausse couche, qui n’est jamais nommée, transforme la relation du couple, l’homme se réfugie dans son travail et la femme choisira partir après avoir détruit l’élevage.

Dans l’histoire Vinterträdgården (Le jardin d’hiver) un homme apathique git dans un hamac installé sous une verrière, tandis qu’une jeune fille suicidaire veille à ce qu’il n’ait pas froid, tout en s’occupant à enterrer des petits animaux. Bien qu’une greffe d’organe de porc lui donne une nouvelle chance, l’homme semble incapable de savoir accepter cette vie, alors que l’adolescente, arrivée par hasard à cet endroit, s’adapte à son nouvel environnement et se reconstruit lentement.

Sur la plage où se déroule l’histoire Marelden (Le brasillement) une enfant fait ses adieux à son meilleur ami Boee, un singe utilisé pour la recherche spatiale, et avec qui elle a autrefois partagé un langage particulier. L’ambiguïté de la dualité entre l’humain et l’animal est un des thèmes récurrents de ce roman qui raconte trois histoires énigmatiques jouées dans le théâtre anatomique de l’univers.

Extrait de Kroppens tal (Le plaidoyer du corps)

Le visage concentré, il retournait les pierres l’une après l’autre. ”Tu as vu ?”, s’exclamait-il impatient, mais elle ne pouvait que répondre par la négative, car les reflets dans l’eau troublaient la visibilité, et elle ne savait pas où il regardait. Elle répondit finalement oui pour mettre fin à leur lente ronde autour des réservoirs, mais il scruta son visage si intensément qu’elle se sentit forcée d’ajouter :   ”Peut-être.” Il s’obstinait à expliquer et plongea les mains et les avant-bras, qui se colorèrent d’un rouge intense, dans l’eau fraîche. Chaque pierre qui était arrachée engendrait un nuage de particules, comme si une tempête de sable miniature se déchainait sous la surface, et elle n’arrivait toujours pas à voir l’écrevisse qui fuyait en flèche la queue en avant. ” Les petites sont presque translucides”, marmonna-t-il et avança à grandes enjambées dans les hautes herbes qui se pliaient en bruissant sous ses bottes. Elle le suivait lentement. L’herbe était si haute et humide qu’elle avait trempé le tissu du pantalon au-dessus des bottes. Les toiles d’araignée n’avaient pas encore été détruites et faisaient penser à des petits napperons de dentelle suspendus entre les brins. Elle s’enfonça dans l’une d’elles, des fils ténus et collants s’accrochèrent à son jean. Il s’arrêta pour l’attendre. ”Tu sais comment elles se reproduisent ?” demanda-t-il comme si elle était une enfant. ” Tu sais comment elles fraient ? Pour une raison ou une autre, elle le laissa raconter ce qu’elle savait déjà ; que les œufs sont gardés en plusieurs couches sous la carapace et quand cela devient pesant, l’écrevisse femelle rabote les strates, traine la queue contre une pierre pour vider les couches l’une après l’autre. ” Ensuite elles se débrouillent seules.”