Elin Anna Labba est journaliste et ancienne éditrice du magazine Nuorat. Elle travaille maintenant à Tjállegoahte, le centre des écrivains sames à Jokkmokk tout au nord de la Suède.
Autrice : Elin Anna Labba
Titre suédois : Herrarna satte oss hit. Om tvångsförflyttningarna i Sverige
Nombre de pages : 190
Année de publication : 2020
Editeur : Norstedts
Agent : Catherine Mörk, catherine.mork@norstedts.se
Présenté par : Françoise Sule, francoise.sule@telia.com
‘Les frontières ont toujours existé, mais jadis elles suivaient les limites des marais, des vallées, des forêts et des montagnes. Les nouvelles frontières des nations nordiques traversent tous les systèmes naturels. Elles tranchent à travers les pâturages, les liens familiaux, et les voies migratoires utilisées depuis des milliers d’années. Quand la terre est divisée, les gens sont scindés.’
Voici comment l’autrice Elin Anna Labba introduit le récit des événements historiques liés au déplacement forcé – Bággojohtin en langue same du nord– des éleveurs de rennes de Laponie, qui commencera au début des années 20 et se poursuivra au cours des années 30. La Norvège qui vient d’acquérir son indépendance à la suite de la dissolution de l’union avec la Suède en 1905 signe avec celle-ci la convention sur le pâturage des rennes en 1919. Cette convention autorise la relocalisation des familles sames qui avaient coutume de passer la période de l’été sur la côte norvégienne et celle de l’hiver en Suède. La priorité est donnée à l’agriculture sédentaire et non à l’élevage de troupeaux itinérants de rennes .Les chefs de famille sames sont instruits de signer des lettres standard pour demander l’autorisation d’une relocalisation vers des communautés sames établies au sud de la Suède. Le déplacement est imposé sans que la population same soit correctement informée des conséquences à venir.
Dans son ouvrage, nommé pour le prix littéraire suédois August dans la catégorie meilleur ouvrage de non-fiction de 2020, l’autrice Elin Anna Labba, elle-même petite-fille de déplacés, dresse un tableau des événements historiques tout en y ajoutant des témoignages des anciens déplacés. La construction narrative du texte relie habilement les récits de vie basés sur des faits vécus, les documents d’archives , les photographies à la réflexion de l’autrice sur son héritage same.
“L’histoire same est ainsi. Des petites différences dans la végétation, une faible élévation de terrain, des huttes qu’on a brulées. Notre histoire ce sont les écriteaux qu’on n’a jamais posés, le chapitre qui n’a jamais trouvé place dans le livre d’histoire.”, précise Elin Anna Labba.
Au-delà de l’abandon des terres, les déplacés perdirent des éléments vitaux de leur culture, par exemple, il leur était difficile d’accepter par un jojk leur nouvel environnement Le jojk n’est pas un chant, mais une façon de se souvenir, de communiquer avec la nature de déplacés: “ ..Le jojk fait en quelque sorte partie de la vie. Il fait partie de la manière de travailler…quand on éprouve un sentiment très fort, on doit l’exprimer par le jojk. Mais je ne sais pas s’ils jojkaient ces nouvelles montagnes…je ne l’ai pas su. Pour eux tout était étranger.”, rapporte un descendant des déplacés.
Elin Anna Labba nous permet de mieux comprendre l’histoire des Sames, seul peuple autochtone d’Europe dans sa dimension pannordique, car le territoire Sápmi, autrefois nommé Laponie, comprend la Norvège, la Suède, la Finlande et la péninsule de Kola en Russie. Une histoire encore mal connue comme celle de nombreux peuples autochtones dans le monde. “ Les cicatrices dont hérite un peuple autochtone ne se trouvent presque jamais dans les livres d’histoire” conclue l’autrice.