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« L’expédition. Mon histoire d’amour » de Bea Uusma présenté par Jean-Baptiste BARDIN

Le 11 Juillet 1897, trois ingénieurs suédois, menés par August S. Andrée partent à la découverte du pôle Nord en ballon à hydrogène. Ils ne doutent pas un seul instant du succès de leur mission et sont déjà des héros dans leur pays. Mais leur expédition (dont on sait aujourd’hui qu’elle était techniquement vouée à l’échec) prend fin après quelques jours. Les trois hommes atterrissent sur une île déserte de l’arctique. Inconscients et fous d’espoirs, ils se mettent en route, et meurent – mystérieusement – sur une île de l’Archipel de François-Joseph, où leurs corps sont retrouvés trente ans plus tard. Le retour en Suède de leurs dépouilles donne lieu à de grandes manifestations populaires et leur histoire y est restée célèbre depuis.

Auteur : Bea Uusma
Titre suédois : Expeditionen. Min kärlekshistoria
Nombre de pages : 270 (ed. de poche)
Années de publication : 2013
Editeur : Norstedts
Presenté par : Jean-Baptiste Bardin, jeanbaptiste.bardin@gmail.com

Cent ans plus tard, l’écrivaine et médecin Bea Uusma s’ennuie à une soirée. Elle ouvre un livre et découvre l’existence de cette expédition. Hantée par le sort des trois explorateurs, obsédée par la recherche de la vérité (en particulier par les circonstances de leurs morts), Bea Uusma consacre les vingt années suivantes à écrire ce livre, pour lequel elle a obtenu le Augustpriset en 2013, catégorie essai.

Elle y alterne des documents historiques (lettres envoyées par pigeons-voyageurs, carnets de bord, journaux de l’époque), des documents techniques contemporains (qui alimentent l’enquête) et des notes beaucoup plus personnelles sur son travail de chercheuse, d’historienne et finalement d’auteure.

Car l’ouvrage de Bea Uusma est autant un livre sur l’expédition Andrée qu’un livre sur la démarche scientifique et sur l’obsession de l’inconnu. Son enquête la conduit à approcher en bateau l’île où sont morts les trois explorateurs. Son expédition est vaine et folle et elle le sait : elle n’y découvre rien, qu’un grand caillou blanc. Elle téléphone aux expéditeurs, aujourd’hui aux abonnés absents. Elle désespère parfois, mais s’émerveille à chaque nouvelle découverte, et ne perd jamais cet enthousiasme contagieux qui fait l’intérêt du livre.

Les faits scientifiques sont traités avec sérieux, précision et une volonté de pédagogie qui rappelle les romans de Jules Verne. Le récit de la recherche a une dimension plus intime et interroge sur le travail d’historien. Où est la vérité ? Peut-on et doit-on jamais l’approcher ? Quelle part la science doit-elle faire au doute, à l’intuition, à la certitude ?

L’ouvrage de Bea Uusma est devenu, à travers le monde, la référence absolue pour qui s’intéresse à cette expédition Andrée[1], très peu connue en France. Elle est pourtant intéressante à deux titres. Historiquement, elle montre l’avènement d’un patriotisme suédois, ivre de conquêtes scientifiques, dans la lignée de Celcius et de Carl van Linné. D’un point de vue romanesque, ce sont les péripéties de ce héros conrandien et de son expédition qui ont fait rêver les amoureux de récits d’aventures. Mais ce qui est inédit dans cet ouvrage, c’est la méthode utilisée par l’auteure, qui mêle habilement la reconstitution romancée de l’expédition et le récit de sa propre enquête. Cette juxtaposition de la science et de l’intimité permet de garder un très haut degré de tension et de divertissement. Comme si la dimension affective de la recherche scientifique, pouvait nous faire approcher au plus près ce qui est ici en jeu : la vérité.

[1] Traduit en 9 langues