« Lisa et Lilly : une véritable histoire d’amour » par Mian Lodalen présenté par Isabelle CHEREAU

Automne 1911. La dernière volonté de Lisa et de Lilly : être enterrées dans le même cercueil. Leurs corps sans vie viennent d’être retrouvés dans le lac d’Hammarby au cœur de Stockholm. Leur demande ne leur est pas accordée, mais elles reposeront tout de même dans des tombes voisines.

Le roman s’ouvre sur cette demande des parents de Lisa qui, timidement, transmettent la dernière volonté de leur fille au prêtre chargé de la cérémonie. Ce prologue annonce déjà la scène finale : le suicide des jeunes filles, leur entrée dans l’eau, les poches remplies de lourdes pierres.

Mian Lodalen, journaliste, chroniqueuse et romancière revient sur ce fait divers et nous livre sa vision romancée, l’exofiction d’une relation gardée sous silence : celle d’une véritable histoire d’amour entre deux jeunes femmes dans le Stockholm du début du 20^e siècle.

Lisa Ström et Lilly Sundberg, jeunes ouvrières, se sont noyées. Ce double suicide a fait sensation à l’époque : on évoque leurs relations amoureuses avec des hommes, on suppose des grossesses non désirées, on établit une version officielle hétéronormalisée.

Mais Mian Lodalen, lorsqu’elle entend parler de cette histoire, s’interroge : pourquoi se suicider ensemble ? Et pourquoi vouloir être enterrées dans le même cercueil ? Pour elle, aucun doute possible : Lisa et Lilly étaient liées, plus qu’amies, de ces amoureuses dont on ne parlait pas.

Alors Mian Lodalen a mené une véritable enquête. Elle a eu accès à la lettre d’adieu des deux jeunes femmes, aux rapports de police, aux coupures de journaux de l’époque et a interrogé les descendants. Et surtout, elle a fait beaucoup de recherches sur le Stockholm des années 1910.

Le roman retrace la dernière année de la vie de Lisa et de Lilly, depuis leur première rencontre coup de foudre jusqu’à leur mort. Un délicieux voyage dans le temps qui nous emporte vers un Stockholm où les premiers tramways viennent de faire leur apparition, où on lave son linge au lavoir, où on se rend au bal pour faire des rencontres, et dans lequel les homosexuels se cachent.

Lisa et Lilly sont adolescentes. Elles se plaisent, se désirent et s’aiment. Un amour qui ne peut être vécu au grand jour. Leurs proches, lorsqu’ils le découvrent, exhortent les deux jeunes filles à y mettre un terme. Les obstacles parsèment le chemin de cette relation. Quelques personnages, initiés, complices, viennent en aide aux amantes, tel le peintre suédois Eugène Jansson dont les toiles représentaient des hommes nus et athlétiques. D’autres sont évoqués, rappelant l’Histoire, tels les agitateurs et syndicalistes Hinke Bergegren et Birger Svahn ou encore la romancière Selma Lagerlöf, première femme à obtenir le prix Nobel de littérature en 1909 dont on sait aujourd’hui qu’elle était lesbienne.

Mian Lodalen nous offre un roman historique, un roman d’amour dans lequel on prend plaisir à déambuler dans le Stockholm des années 1910. Les descriptions détaillées se mêlent harmonieusement à l’histoire des deux jeunes filles. L’évocation du milieu ouvrier dont elles sont issues regorge de précisions.

Lisa et Lilly sont touchantes. Cet amour qui grandit, leurs émois et les émotions d’adolescentes sont soutenus par des dialogues vivants et justes qui reflètent l’époque. Nous accompagnons les jeunes femmes dans le dédale des rues de la capitale suédoise et vivons à leur côté une relation impossible. Jusqu’à son issue fatale.

Les lecteurs français connaissent déjà Sara Lövestam (traduite par Esther Sermage), autrice suédoise qui met en scène des personnages LGBT. Tout comme les héroïnes de Sara Lövestam, celles de Mian Lodalen ne sont pas caricaturales et ne tombent pas dans les clichés. Elles sont attachantes, tout simplement. Et pour ceux qui ont aimé découvrir le Stockholm d’aujourd’hui au travers des livres de Sara Lövestam, ils auront le plaisir de plonger dans celui des années 1910 de Mian Lodalen.

L’histoire de Lisa et Lilly imaginée par Mian Lodalen est crédible, simple sans être simpliste. L’affection que la romancière a pour ses personnages est teintée de tendresse sans sentimentalisme. Le roman est accessible, sans fioritures et c’est tant mieux. Il est de ceux qui relèvent presque de l’utilité publique pour rappeler que les histoires d’amour entre femmes existent et ont toujours existé, que si elles ont rencontré et rencontrent encore des obstacles de tous ordres, elles sont à n’en pas douter de belles histoires d’amour.

Lisa et Lilly : une véritable histoire d’amour est le premier volet d’un triptyque que Mian Lodalen consacre à des faits divers dont des lesbiennes sont les héroïnes. Paru en Suède en 2021 le second opus, Lesbiska ligan : en sann kriminalhistoria (La Ligue lesbienne : une véritable histoire de crime) plonge le lecteur dans une affaire de meurtre à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Quant au troisième roman, Mian est en train de l’écrire et a confié qu’il nécessite d’effectuer des recherches à Paris. Ses lecteurs et lectrices l’attendent avec impatience.