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« Minuit quatre » par Conny Palmkvist présenté par Rachel ERDMANN

Conny Palmkvist était jusqu’en 2021 avant tout connu en Suède pour ses fictions historiques pour adultes et son activité de critique littéraire. Son premier roman pour la jeunesse, gagnant d’un concours lancé par un grand éditeur suédois de livres pour enfants, a été publié il y a deux ans. « Minuit quatre », sorti en 2022, est son deuxième récit destiné aux jeunes lecteurs (à partir de 8-9 ans). Il a été remarqué dès sa sortie par la critique, et plusieurs pays européens en ont déjà acquis les droits.

Auteur : Conny Palmkvist
Titre suédois : Fyra minuter över tolv
Nombre de pages : 115
Année de publication : 2022
Éditeur : Bonnier Carlsen
Contact : Linda Andersson, Salomonsson agency, linda@salomonssonagency.com
Présenté par : Rachel Erdmann, erdmann.rachel@wanadoo.fr

Nikolaus est un garçon de 12 ans, et c’est lui qui nous raconte son histoire. Le lecteur le rencontre dès les premières lignes dans un couloir d’hôpital, très tard le soir : « Il est 23h54. Je suis assis sur une chaise et je suis vivant. Ici, vivant, pendant que d’autres sont en train de mourir. » Ainsi commence le livre. Sa mère est mourante et la famille proche (son mari et son fils) est restée auprès d’elle. Mais Nikolaus ne tient pas en place, et reprend l’ascenseur. Il y découvre alors un bouton nouvellement apparu, qui l’emmène dans un étrange sous-sol. On y prend un train qui vous conduit au terminus, mais on y rencontre aussi une femme aux pouvoirs inattendus : grâce à elle on peut revenir dans le passé et revivre une heure qu’on souhaiterait avoir vécue différemment. On peut aussi avancer de quelques minutes. Et surtout, pendant qu’on est en bas, le temps s’arrête. Nikolaus descend plusieurs fois pour revivre des moments marquants avec sa mère et s’imaginer comment il aurait – s’il avait su ce que l’avenir lui réservait – pu changer le cours des choses.

Lors de son dernier passage, il choisit d’avancer le temps de deux minutes pour accompagner sa mère dans son ultime voyage – ils prennent le train pour le terminus ensemble – et partager véritablement avec elle ce moment du grand saut.

Lorsqu’il remonte dans la chambre d’hôpital, il sait ce qui va advenir, il est prêt. À minuit quatre, il est orphelin.

Ce récit, profondément tragique, est aussi plein d’humour : d’abord parce que la situation est vue par un jeune adolescent, qui préfère regarder des vidéos comiques de chiens sur Youtube que de se soumettre aux contraintes du quotidien. Il commente l’attitude des adultes, la compassion du personnel, avec la spontanéité et la lucidité de ses 12 ans. Il explique comment il s’y prend pour supporter l’adversité, pour préserver le meilleur et mettre à distance ce qui fait mal.

Il imagine aussi son récit comme un manuel de survie à destination de lecteurs confrontés à la même situation que lui : il donne des astuces, des conseils égrénés tout au long du livre. Chacun porte un numéro. Parfois ce sont des conseils pratiques, d’autres fois des remarques que lui inspirent l’attitude des adultes qui l’entourent. En témoigne le conseil n° 81 (la numérotation commence à 77) : « N’aie pas l’air de quelqu’un dont la mère est presque morte. » Car il s’agace des regards de pitié qui sont posés sur lui ou des conversations murmurées dans son dos. À la fin du récit commence l’écriture du roman que nous venons de lire, car Nikolaus veut partager son expérience pour rendre service à ceux qui auraient à vivre un épisode similaire.

Il nous emmène dans son monde – ce sous-sol secret de l’hôpital – où le temps est élastique, où il faut triompher de cerbères sans pitié, mais aussi où l’on peut réparer ses erreurs ou faire table rase de ses regrets. Dans cet univers parallèle, dont il se demande lui-même s’il n’est pas simplement le décor d’un rêve (le roman se déroule officiellement entre 23h54 et 24h04), il se prépare et se consolide avant l’irréparable. Et s’étonne à peine, ensuite, que la chauffeuse de taxi qui les ramène, lui et son père, après cette terrible nuit, ressemble étrangement à la femme qui l’a accueilli à chacune de ses descentes dans le mystérieux sous-sol.

Conny Palmkvist a trouvé dans ce livre le ton exact qui le rend crédible sous la plume d’un garçon de 12 ans, et de ce fait il est très convaincant pour le public auquel il s’adresse. Des répliques courtes, des bribes de pensées, des phrases qui s’enchaînent en se calquant l’une sur l’autre, pour montrer le cheminement de la réflexion. Des listes parfois, ou des expressions qui n’appartiennent qu’à lui : Nikolaus est un garçon sensible et plein d’humour, qui nous fait partager son univers et la façon dont il s’est approprié la langue. Il est désarmant de bon sens, de maturité et de courage. Une incroyable leçon de vie.