« Op.101 » par Horace Engdahl présenté par Elena BALZAMO

Horace Engdahl (né en 1948) est une voix à nulle autre pareille. Ancien secrétaire perpétuel de l’Académie suédoise, historien de littérature (on lui doit, récemment, une belle édition des œuvres de Gustave III, 2021), traducteur (entre autres, de Kleist et de Lessing), il est l’auteur de remarquables ouvrages (non-traduits) tels que Den romantiska texten : en essä i nio avsnitt, (1986), Stilen och lyckan : essäer om litteratur (1992), ou encore Ärret efter drömmen (2009). Il a également publié plusieurs volumes de « mini-essais » aphoristiques : Meteorer (1999, fr. Café Existence, 2015), Cigaretten efteråt (2011, fr. La Cigarette et le Néant, 2014), Den sista grisen (2016, fr. Le dernier porc, 2018) et, plus récemment, De obekymrade (Les insouciants », 2019, non-traduit – cf. la présentation sur le site)

Auteur : Horace Engdahl
Titre suédois : Op.101
Nombre de pages : 140
Année de publication : 2021
Editeur : Albert Bonniers förlag
Contact : Maria Montner, maria.montner@bonnierrights.se
Presenté par : Elena Balzamo, elena.balzamo@free.fr

Son nouveau livre, Op. 101, comporte quatre parties qui se différencient moins par leur contenu que par les « unités » qui les composent. La première est faite de micro-essais de 2 à 3 pages, la seconde d’aphorismes, tandis que chacune des deux dernières est un texte continu. Ces fragments de longueur variable (qui obéissent néanmoins au principe d’écriture fragmentaire) traitent des sujets tantôt « éternels », tantôt « éphémères », comme ceux d’actualité. Certains sont thématiquement liés entre eux et forment une sorte de « clusters » narratifs, d’autres, surtout les plus longs, se referment sur eux-mêmes. L’auteur s’interroge sur la nature humaine (et animale), sur l’essence et les apparences, sur l’ambition et ses mécanismes, sur l’amour et l’indifférence, sur ce que Strindberg appelait « la guerre des sexes ».

Ce volume est une variation virtuose sur les thèmes évoqués, enrichie par de nouvelles expériences vécues et de nouvelles (re)lectures. Esprit encyclopédique et polyglotte, Engdahl, qui se sent chez lui dans toutes les époques et dans tous les pays, oppose – plus particulièrement dans cet Opus 101 – la littérature, une constante, à l’anecdotique : média, réseaux sociaux, etc. La littérature fournit aussi bien des repères moraux qui peuvent nous guider dans des situations critiques qu’une distance, une mise en perspective permettant de relativiser les événements, en les plaçant dans un contexte plus large, plus intemporel. Plutarque reste finalement plus actuel qu’un scoop télévisuel ou la une d’un quotidien.

La musique, elle aussi, fournit à l’individu des assises esthétiques et éthiques, même si le processus est plus intuitif, plus diffus, plus difficilement appréhendable. Les deux dernières parties du livre traitent l’une d’une sonate de Beethoven (l’op. 101, celui qui a inspiré le titre) et l’autre de la Passion selon Saint-Matthieu de Bach. Il s’agit à la fois d’une fine introspection teintée d’autobiographie et d’une brillante analyse des deux chefs-d’œuvre musicaux.

Dans ce livre, comme dans les précédents, l’auteur fait preuve d’une totale liberté intellectuelle et force le lecteur à s’interroger sur les doxas du moment. Souvent provocateur, jamais hypocrite, il déniche les failles de la pensée unique, puisant chez les classiques pour y trouver une ligne de pensée et de conduite dans le monde moderne. Ce faisant, il renoue avec la tradition moraliste allant de La Bruyère à Cioran, ce qui lui assure une place dans la lignée européenne d’un genre qui n’a eu que très peu d’adeptes en Suède. Comme chez ses grands prédécesseurs, la quête de la vérité forme le fil conducteur de tout ce qu’il écrit :

« La vérité ! La vérité ! Pour le commun des mortels, ce mot signifie rarement autre chose que ‘C’est moi qui ai raison ! Vous autres, vous avez tort !’ Et ce n’est que lorsque nous nous rendons compte que les malheurs qui nous frappent n’ont finalement aucune importance du fait que nous-mêmes sommes passablement insignifiants, que nous avons une chance de nous approcher de la vérité. »

Et pour terminer :

« Le pire et le meilleur, chez l’être humain, sont immuables. Tandis que ce qui est juste mauvais ou juste ‘pas mal’ est amené à changer avec le temps. »