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« Poussière » par Lars Norén présenté par Françoise SULE

Lars Norén (1944–2021) est l’un des auteurs dramatiques suédois les plus renommés au niveau international. Ses pièces sont régulièrement traduites et représentées sur des scènes théâtrales. Mais Norén est aussi un poète de l’âme humaine, chaleureusement salué par la critique. Le succès remporté par ses productions théâtrales pour la scène et la télévision a cependant fait oublier son œuvre poétique.

Norén a fait ses débuts, très jeune, avec le recueil de poésie Syrener, snö (1963). Le recueil Hjärta i hjärta en 1980 lui a valu d’être reconnu comme l’un des poètes les plus originaux de Suède, mais marque aussi le début d’une nouvelle forme d’écriture. Le poète se consacre à la scène et à la rédaction de journaux et de textes en prose. Le prestigieux prix suédois de poésie Radios lyrikpris lui est décerné en 2012. « C’est bien malheureux de recevoir ce magnifique prix en dépit de tous les efforts que j’ai faits depuis 1978 pour m’éloigner de la poésie. Mais peut-être redevient-on poète. » déclare-t-il alors dans son courriel de remerciement (Sveriges Radioslyrikpris 2012-Kulturnytt i P1/). Le recueil de poésie Stoft ( Poussière) publié en 2016 annonce le retour de Norén à la poésie. Il écrira en 2018 une pièce de théâtre, Poussière – Musique de mort (Ed. l’Arche) pour la Comédie-française, une symphonie des adieux mettant en scène une dizaine de vieillards qui se retrouvent une fois par an dans un même lieu.

Auteur : Lars Norén
Titre suédois : Stoft
Nombre de pages : 127
Genre : poésie
Année de publication : 2016
Éditeur : Albert Bonniers Förlag
Contact : margareta@larsnoren.se
Présenté par : Françoise Sule, francoise.sule@telia.com
Extraits et citations de Norén traduits par Françoise Sule

Les poèmes de Stoft (« Poussière ») sont centrés sur le thème de la vieillesse, l’approche de la mort, et empreints d’une lumière singulière. Aucun titre n’est donné, seulement des dates comme dans la rédaction d’un journal intime qui s’écoule entre le 12 juillet 2015 et le 28 février, écrit à la première personne. Le 28 février n’est pas daté par le chiffre d’une année. On peut deviner 2016, mais rien n’est précisé. Les poèmes traversent les strates du temps, tissant souvenirs et présent, moments sombres et instants lumineux. Le narrateur parle de sa rencontre avec un ami gravement malade, une sorte de memento mori, un rappel de la fragilité de l’existence tout en éprouvant un intense moment de bonheur alors qu’il prend  l’autobus avec sa petite fille. Ses souvenirs s’enchaînent, le « je » compose avec eux une sorte de bilan de sa vie pour aboutir à la conclusion qu’il a quand même bien vécu dans le dernier poème du recueil du 28 février sans que l’année soit précisée.

« J’approche de la belle
fin, au commencement de la musique »
28 février

Le désespoir le saisit à la vue des scènes de guerre et des atrocités produites par l’homme à notre époque. Norén a toujours été un auteur engagé, impliqué dans la société de son temps. Dans le long poème de huit pages, Infernofragment (« Fragments du cercle infernal »), le « je »part dans le royaume d’Hadès à la rencontre des meurtriers d’enfants pour les confronter à leurs actes.

L’espoir dans un monde meilleur ne se trouvera que dans le personnage de l’enfant, une figure centrale du recueil. Le poète veillera toujours sur l’enfant abandonné.

« L’enfer, selon moi moi, laisse le plus
de souvenirs, les pas qui y mènent sont déjà
des souvenirs de pas, ils égratignent encore
les plaies comme les épines calcaires de l’agave, rien
ne s’est perdu, même pas le dernier
train de Prague où les enfants ne sont pas montés en silence ”
(« Fragments du cercle infernal », 4 décembre, 23 février)

Les poèmes parlent sans détour de la mort comme scène de théâtre, moment de libération, de beauté, qui dépasse les regards des vivants et l’inaptitude de l’être humain à créer quelque chose de durable.

Le poète s’adresse au lecteur avec une élégance grave et profonde teintée de mélancolie, en trouvant les mots justes qui désarment les moments dramatiques. L’agencement des vers n’est pas figé et s’éloigne des règles de composition traditionnelle. Un recueil étonnant et fascinant à la fois par son intensité, la déconstruction de la narration qui décrit le quotidien des gens, leur lutte contre la fuite du temps, leur sentiment d’impuissance contre une réalité qu’ils n’ont pas choisie eux-mêmes, par les non-dits et par une  mise en scène  du texte où la ponctuation   donne à la lecture un rythme singulier. Le lecteur est ainsi invité à partir « à la recherche de diamants langagiers dans les ténèbres » comme le souligne un critique suédois.

Dans le calme du soir,
reposent enfin
les heures anéanties
du jour-Oh, mon
enfant, comme tes sœurs et
toi me manquez, peu importe la manière
dont nous reculons dans la
fin, nous voyons la merveilleuse
réalité du passé, elle surgit devant nous,
traçant un passage en
terrain caillouteux, et parmi
tous, courants humains
de poussière tourbillonnante
je me détache
dans ta lumière
de plus en plus dense, libre
de généreuse
violence
25 juillet