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« Sápmi vu de l’intérieur : Témoignages d’un pays volé » sous la coordination de Patricia Fjellgren et Malin Nord présenté par Francoise SULE

Patricia Fjellgren, née en 1976, a reçu en 2017 le prix de la langue minoritaire du Conseil suédois des langues Språkrådets Minoritetsspråkpris 2017 pour son engagement par rapport à la revitalisation des langues sames en Suède. Elle fait partie du projet Språkcirkus  ( Le cirque des langues) au Giron Sámi Teáhter

Malin Nord, née en 1973, est membre du  Conseil pour la littérature same et a écrit deux romans Stilla havet (2012), nominé pour le prix Norrland de littérature  et Barmark (2017), prix des lecteurs Studieförbundets vuxenskolan. Elle est rédactrice en 2020 de Provins, le magazine culturel de la région de Norrland.

Titre suédois : Inifrån Sápmi : Vittnesmål från stulet land
Auteur : Anthologie regroupant vingt auteurs sames contemporains, Anna-Lill Drugge, Patricia Fjellgren, Niilas Helander, Lis-Marie Hjortfors, Roman Lakovlev, Pedar Jalvi, Sofia Jannok, Elin Anna Labba, Ann-Helén Laestadius, Ella-Maria Nutti, Outi Pieski, Katarina Pirak Sikku, Lea Simma, Sigbj0rn Skåden, Niillas Aslaksen Somby, Inga Marja Steinfjell, Karin Stenberg, Paulus Utsi, Nils-Aslak Valkeapää, Áilu Valle, Oktjabrina Voronova, Annica Wennström, Helga West, Åsa Össbo
Nombre de pages : 236 pages
Éditeur : Verbal förlag
Année de parution : 2021
Contact : Patricia Fjellgren et Malin Nord, rédactrices, Patricia.fjellgren@gmail.com
Presenté par : Françoise Sule, Francoise.sule@telia.com

Au cours des siècles précédents, les populations sames du nord de la Norvège, de la Suède, de la Finlande ainsi que du nord-ouest de la Russie ont été déplacées de leur terre ancestrale, nommée Sápmi, pour des raisons économiques, telles l’exploitation minière, les centrales hydroélectriques. Ces déplacements ont souvent abouti à des conflits d’intérêts entre les États-nations et les communautés sames.

La remarquable anthologie établie par Patricia Fjellgren et Malin Nord regroupe des ” Témoignages du pays volé ” composés sous forme d’essais, de récits personnels, de témoignages, de poèmes écrits en same, suédois et norvégien. Les auteurs, tous d’origine same, viennent d’horizons différents, du monde de la littérature et des arts, de la recherche universitaire en sciences humaines, du journalisme, de l’engagement activiste. Les textes courts présentés en suédois (4 pages maximum) ont des tons et des genres variés.

L’anthologie contient par exemple des réflexions sur l’identité, sur le racisme, les liens entre la culture same et la tradition du yoga, sur les mots intraduisibles ” il y a une soixantaine de mots pour décrire la fourrure du renne”, sur les placements d’enfants sames en internat pour apprendre le suédois.

Après la préface détaillée des deux rédactrices, Patricia Fjellgren et Malin Nord, une rétrospective, allant de l’an 98 avant J.C jusqu’à l’an 2020,  établie par Åsa Össbo, chercheuse à Várdduo – Centre de la recherche same à l’université d’Umeå, fournit des informations sur l’histoire des Sames, les modifications des frontières, l’implantation du darwinisme social , les conventions et les lois visant à restreindre les droits des Sames, la mise en place du Sameting/ Parlement same en Norvège et en Suède, la critique internationale envers les nations ne reconnaissant pas les minorités, ainsi que sur les modes de culture  liés à l’identité same.

Le but de l’anthologie, tel qu’annoncé dans la préface, est de déconstruire les idées préconçues et de conduire à une réflexion sur la notion de pouvoir. Les rédactrices soulignent que ” Les Sames ont toujours été décrits par les chercheurs et les auteurs des états nations comme étant un peuple primitif. Mais les cultures primitives ne sont-elles pas celles qui laissent des marques de destruction, dont la soif de consommation est illimitée? ”.

Ce sont les prétendus non primitifs qui ont ôté les enfants à leur famille et leur milieu, qui ont refusé aux enfants sames de parler leur langue maternelle. En outre, ” L’institut de biologie raciale a catégorisé et trié les individus selon la taille de leur crane. Au nom de la civilisation. On a construit des barrages sur des rivières, on a vidé des montagnes, on a déboisé des forêts, on a détruit de la forêt vierge. Au nom de la civilisation.”

Certains auteurs de l’anthologie  composent par exemple avec les marques sombres de l’histoire, ainsi  Anna-Lill Drugge, enseignante-chercheuse en histoire( Inblick in samisk historia- Aperçu de l’histoire same ), les familles et communautés brisées  pour Sofia Jannok, artiste et interprète en same du nord ( Enligt kartan finns vi inte-Nous n’existons pas selon la carte),  la colonisation pour Elin Anna Labba, autrice,( Den minst äkta av alla byar ja kännerLe village le moins authentique que je connaisse), le racisme pour  Patricia Fjellgren, (Racismens koreografi- La chorégraphie du racisme ), l’appartenance identitaire liée à la langue pour Lea Simma, traductrice à Tjállegoahte- Centre de la littérature same,  Hur orkar svenskar prata svenska hela dagarna?  Comment les Suédois ont-ils la force parler suédois tous les jours?). À la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle, les théoriciens des races considèrent le peuple nomade same comme un peuple primitif appelé à disparaître. Herman Lundborg, chef de l’institut suédois de biologie raciale documentera dans les années 20 et 30 les populations sames en les photographiant tels des spécimens de zoos. Lis-Mari Hjorfors, conteuse et ethnologue au musée Árran de Tysfjord (Baksidan av ett släktfotografi – le dos d’une photo de famille) exprime son indignation en découvrant que la famille de sa grand-mère a dû participer à ce projet pseudoscientifique.

La réflexion linguistique sur la manière dont les mots façonnent une culture est particulièrement intéressante. Elin Anna Labba parle ainsi de la frustration qu’elle ressent à ne pas posséder la langue qui lui tient le plus à coeur:

” Je veux garder le lieu où est parlé le dialecte de Karesuando

là  où on ne m’a pas permis d’aller

saurai-je un jour maîtriser la langue, moi aussi”

( Två dikter- Deux poèmes).

À quel public s’adresse cette anthologie? Patricia Fjellgren souligne l’intérêt de la thématique historique pour les lecteurs non sames et aussi pour les Sames qui n’ont jamais eu la possibilité d’étudier leur propre histoire à l’école. Mais dans cette mosaïque originale de témoignages  qui font face aux tragédies du passé, qui exigent des réparations, des changements pour un avenir meilleur, le lecteur  retrouve les transformations par lesquelles passe notre monde actuel . Il puisera aussi de l’inspiration pour réfléchir à notre relation à la nature et au temps selon la vision du monde same qui nous explique  que les hommes font partie intégrante de la nature avec laquelle ils doivent apprendre à vivre en harmonie, comme nous le disent les poètes, Paulus Utsi et  Nils-Aslak Valkeapää.

” Notre vie

Est une trace laissée par des skis

Sur l’immensité blanche

Balayée par la neige tempétueuse

Au point du jour”

Paulus Utsi, poète et artisan ( Divttat-Dikter / Giela Gielain 1980) )

 

” (…) Hé! Vous! mister president hello! mister roi

empereur et dictateur

Hé! Vous! monsieur le commandant

voici les sauvageons des vastes étendues

la fleur rouge des prairies

le berger du monde brûlant

la créature nue des forêts vierges

 

Hé! Vous! le voleur de terres

 

les noms changent

les époques

et la manière d’agir

mais la question reste la même elle reste manifestement

d’année en année

 

Je ne jojke pas I love you

je ne chante Père blanc bien aimé

 

Hé! Vous !  salauds des salauds

Hé! Vous! human rights

toute la diablerie du monde infernal

Même si les noms et les époques

les lieux et les coutumes changent

la question reste inchangée

 

Où sont-ils aujourd’hui mes frères et mes soeurs

mes amis chers, les regards emplis de bonté

le coeur que berçaient doucement les vagues , où sont les sonorités

des jojks, où sont le paysage  familier, un kolt de fête, des pas légers

des poitrines écrasées, des oeufs brisés

des morts anonymes, des milliers de disparus, des voix tues

des cris étouffés

Ohé, ohé! (…)

 

Nils-Aslak Valkeapää, activiste, poète. Prix littéraire du Nordiska rådet- Conseil nordique – en 1991.

Extrait de Ur Vidderna inom mig, (Hors des vastes espaces au fond de moi) traduction du same en suédois faite parMia Berner, John E Utsi, Kristina Utsi, DAT 1987