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« Un jour, je ferai un château avec de l’argent » de Evin Ahmad presenté par Jean-Baptiste BARDIN

Née en 1990, l’actrice suédoise d’origine kurde, Evin Ahmad est considérée depuis quelques années comme une personnalité incontournable du théâtre classique et du cinéma. Lorsqu’elle publie ce récit en 2017, le succès critique est immédiat. La même année, le texte est lu sur la scène du Folkteater de Göteborg.

Autrice : Evin Ahmad
Titre suédois :
En dag ska bygga ett slott av pengar
Nombre de pages : 120
Année de publication : 2020
Editeur :
Natur & Kultur
Agent : Partners in Stories, Maria Åhlin, maria@partnersinstories.se
Genre : Récit
Présenté par : Jean-Baptiste Bardin, jeanbaptiste.bardin@gmail.com

Evin Ahmad y raconte son parcours, des banlieues pauvres de Stockholm à la prestigieuse école d’art dramatique où elle a eu du mal à s’imposer comme actrice légitime. Elle y expose ses difficultés à concilier les deux mondes qui l’ont vu grandir : la banlieue et le théâtre.

La forme narrative non linéaire d’Evin Ahmad, pleine d’ellipses, de retours en arrière et de contre-champs emprunte sans doute beaucoup au cinéma. Mais c’est surtout au théâtre qu’ elle doit son inspiration. Le récit semble parfois murmuré, parfois crié. Les scansions, les ruptures de rythme, la ponctuation audacieuse en font un texte d’une grande puissance orale et stylistiquement inclassable. Est-ce un monologue intérieur ? Un long poème en prose ? Une lettre à ses parents ?

Evin Ahmad est kurde… et suédoise. La langue qu’elle a appris enfant n’est pas celle de ses camarades comédiens. Elle a beaucoup à dire et use de tous les moyens que lui offre la langue suédoise pour y parvenir. Les formes se succèdent : dialogues, aphorismes, haïkus, monologues sans ponctuation, listes de questions sans réponse.

C’est aussi le texte d’une banlieusarde qui aime sa banlieue d’Akalla et puise manifestement dans le slam une partie de son inspiration et de son style. Le suédois simplifié des immigrés est pour elle une langue en soi. Elle dispose de moins de moyens linguistiques que ses camarades de l’école mais doit exprimer plus qu’eux : plus de colère, de nostalgie, d’ambitions. Mais il n’est question ici ni d’hommage à ses origines, ni de critique sociale. L’auteure ne revendique pas. Elle a dépassé depuis longtemps le stade de l’amertume.

A trente ans à peine le texte d’Evin Ahmad sonne déjà comme une lettre d’adieu à l’enfance. Il s’ouvre par la mort et l’enterrement d’un ami et, de fait, peut se lire comme un acte de deuil. Le deuil de ses origines, de son enfance, de sa langue et de ses rêves.

Evin Ahmad se détache du sujet (qui peut sembler rebattu en France) de l’ascension sociale et de l’intégration par la culture, pour nous offrir un texte d’une grande originalité stylistique sur la difficulté de s’imposer et de s’exprimer. Elle interroge le rôle de celui qui doit dire les mots des autres – le comédien – et de celui qui doit écrire les siens – l’écrivain.