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« Q » de Fredrik Ekelund présenté par Rachel ERDMANN

Fredrik Ekelund n’est pas un débutant, loin s’en faut. Certains de ses romans policiers ont été traduits en français, entre 2012 et 2015, c’est à dire 10 ans après leur publication en Suède,  par Philippe Bouquet, et publiés aux Editions Gaïa (Le garçon dans le chêne, 2012, réédition en Folio Policier 2013, Blueberry Hill, 2013 puis 2015, Casal Ventoso, 2015).

Il n’a pourtant pas écrit que trois polars, mais le public français ne le sait pas. Entre 1984 et aujourd’hui, une vingtaine d’ouvrages ont été publiés en Suède, ainsi que de nombreuses traductions car Fredrik Ekelund est aussi traducteur du français, de l’espagnol, du danois…

Et Fredrik n’est qu’une partie de son identité, les lecteurs français ne le savent pas non plus, mais les Suédois l’ignoraient aussi jusqu’il y a peu. Il·elle est aussi Marisol, une réalité qui a bouleversé sa vie la cinquantaine passée, fait voler en éclats sa famille, et a fourni le sujet d’un poignant écrit autobiographique, Q, dont il est question ici.

Auteur : Ekelund, Fredrik
Titre suédois : Q
Nombre de pages : 330
Année de publication : 2018
Editeur : Albert Bonniers förlag (détenteur des droits)
Présenté par Rachel Erdmann, erdmann.rachel@wanadoo.fr

Q est un récit de survie, une manière de mettre des mots sur un parcours personnel potentiellement explosif : assumer, quand on a été marié, père de famille et globalement heureux pendant plusieurs décennies, qu’on est aussi femme, et qu’un besoin vital de l’exprimer conduit à mener une double vie, Fredrik le jour à Malmö, Marisol la nuit à Copenhague…

Et comprendre que cette double vie ne peut pas rester cachée aux yeux de tous indéfiniment, mais que la dévoiler crée des dégâts parfois irrémédiables et demande avant tout un immense courage.

C’est ce courage qui m’a bouleversée quand j’ai découvert Marisol alors que je m’attendais à voir Fredrik dans l’émission littéraire suédoise Babel à l’automne dernier. C’était la première apparition publique de l’écrivain en tant que Marisol, et la tension était palpable.

Q est à la hauteur de ce courage. Le récit de ce moment de transition, de l’apprentissage de la vie de transgenre, des confrontations avec les proches, des allers et venues entre une vie quotidienne presque inchangée à Malmö et la vie nocturne des lieux LGBT de Copenhague, des nouvelles rencontres qu’elle occasionne, est découpé en fragments de longueur variable, comme des instantanés fixés dans un album. A la manière d’un journal intime se mêlent descriptions et impressions, vécu et réflexion. Lapidaires ou très longues, les phrases nous font partager la fragilité et la complexité de cette vie marginale. Et nous interrogent tout simplement sur notre propre identité.

S’intercale la correspondance que Marisol a échangée, tout au long de ces mois de métamorphose,  avec Soledad, amie trans d’origine bolivienne vivant à Vienne. L’expérience de cette dernière et l’amitié qui se noue jouent un rôle déterminant dans l’équilibre fragile que notre auteur·e essaye de construire.

Les vies de Marisol et de Soledad ne sont cependant pas des cas uniques, et la reproduction d’ articles de presse ou de publications individuelles d’inconnus sont là au fil du livre pour nous rappeller que le monde transgenre est un univers de persécution et d’exclusion, et que la société a encore un long chemin à faire avant d’accepter pleinement toutes les différences.

La Suède porte depuis toujours un attention particulière aux questions d’identité, de genre, et aux droits que chacun est en capacité de revendiquer. Ces problématiques agitent également depuis quelques années la société française, et sont plus que jamais d’actualité aujourd’hui.

Q est un témoignage littéraire incarné et profondément humain qui illustre et enrichit le débat.