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« Un sacré rayon de soleil, une biographie d’Ester Blenda Nordström » de Fatima Bremmer présenté par Anne KARILA

Aussi brillante que mystérieuse, Ester Blenda Nordström (1891-1948) a fasciné tous ceux qui l’ont approchée.

Farouchement indépendante, d’une curiosité insatiable, elle parcourt le monde, plonge dans des milieux qui lui sont totalement étrangers, et écrit.

Pionnière du journalisme d’investigation en Suède, elle est parfois comparée à un Günther Wallraff avec 50 ans d’avance, ou à Jack London. Elle s’est imposée dans un métier traditionnellement masculin.

Tombée dans l’oubli à la fin de sa vie, à la suite d’une attaque cérébrale, elle suscite depuis quelques années un vif regain d’intérêt :

La radio, le cinéma, la recherche se passionnent pour cette personnalité hors du commun des lettres suédoises. Les éditions Bakhåll rééditent ses quatre grands récits de voyage et, en 2017, Fatima Bremmer, elle aussi journaliste et écrivain, publie la première biographie d’E. B. Nordström, qui obtient le prix August (catégorie Essai).

Auteur : Fatima Bremmer
Titre suédois : Ett jävla solsken, en biografi om Ester Blenda Nordström
Nombre de pages : 376
Année de publication : 2017
Editeur : Forum förlag
Présenté par Anne Karila, a.karila@yahoo.fr

D’une lecture aisée et passionnante, ce livre rend un très bel hommage à Ester Blenda.

Une documentation abondante et variée (51 photos, nombreux extraits d’articles, de textes et de lettres) émaille le récit.

Bremmer fait revivre Ester Blenda sous toutes les facettes de son existence – l’aventurière, l’écrivain, l’amie fidèle, la fille et la soeur attachée aux siens –, tout en préservant la part de mystère qui entoure sa vie intime. À une époque où l’homosexualité était passible de prison ou d’hôpital psychiatrique, la relation qu’Ester Blenda a entretenu toute sa vie avec une femme ne pouvait pas être vécue ouvertement. Bremmer suggère que le mystère Nordström réside dans ces amours gardées secrètes.

Le récit de Bremmer apporte également un éclairage captivant sur la société suédoise de la première moitié du vingtième siècle.

Remarquée très tôt pour ses articles dans divers journaux, Ester Blenda lutte pour l’émancipation des femmes aux côtés d’Elin Wägner, personnalité phare du féminisme de l’époque.

Elle perce véritablement en 1914 avec En piga bland pigor (Une fille de ferme parmi d’autres), récit de son expérience de fille de ferme, qui provoque un véritable émoi en Suède et lui vaut un énorme succès.

L’année suivante, elle est institutrice itinérante en Laponie, partage la vie des Sames et fait la classe à une quinzaine d’enfants pendant cinq mois. Kåtornas folk (Le peuple des huttes, 1916) rencontre un accueil aussi positif et influencera la politique éducative dans le grand Nord.

Plus tard, elle s’embarque en 3ème classe pour l’Amérique, sur les traces des émigrants suédois. Amerikanskt (1923) relate l’attente à Ellis Island, la misère à New York, Chicago, les Mormons, ses pérégrinations en train et en stop, ses emplois de bonne et d’ouvrière agricole.

Entre deux périples, Ester Blenda écrit et… boit beaucoup. Elle côtoie des personnalités influentes, sans jamais sacrifier sa liberté, connait la célébrité, le dénuement, des périodes de dépression, se relève et se lance dans de nouvelles expériences.

Rêvant d’avoir sa propre ferme, elle remue ciel et terre pour entrer à l’école d’agriculture, jusque-là exclusivement réservée aux hommes. En 1930, elle réalise son rêve.

Généreuse, elle mène des actions humanitaires en faveur de populations menacées de famine lors de la guerre civile en Finlande.

Toujours assoiffée d’aventure, elle se marie avec le naturaliste René Malaise dans le seul but de pouvoir l’accompagner en expédition au Kamtchatka. Le mariage sera rompu, mais cette tranche de vie relatée dans Byn i vulkanens skugga (Le village à l’ombre du volcan, 1930).

Elle écrit aussi pour la jeunesse et ses livres ont un énorme succès. Son personnage, la rebelle Ann-Mari (son alter ego fillette), révolutionne la littérature enfantine. Astrid Lindgren s’en inspirera d’ailleurs largement pour créer Fifi Brindacier.

À rebours de toutes les conventions, Ester Blenda a vécu à un rythme effréné et, selon ses propres mots « brûlé sa vie par les deux bouts ». L’alcool et la maladie auront raison d’elle, la privant, de son vivant, de la pleine reconnaissance qui lui était due.

Ce livre riche, dense, unanimement salué par la critique dès sa parution, lui rend justice.
Il trouvera sans nul doute un bon accueil en France.