Anne Swärd est écrivaine et journaliste culturelle. Elle a publié quatre romans dont deux ont été traduits en français : Un été polaire (2003, Buchet/Chastel, traduction Rémi Cassaigne) et Embrasement (2012, Buchet/Chastel, traduction Ophélie Alegre). Anne Swärd est membre de l’Académie suédoise depuis mars 2019. Vera est son quatrième roman.
Auteur : Anne Swärd
Titre suédois : Vera
Nombre de pages : 344
Année de publication : 2017
Editeur : Albert Bonniers förlag
Agent : Nordin Agency
Presenté par Anna Postel, anna.postel@gmail.com
À la fin de la Seconde Guerre mondiale, Sandrine, fille d’une résistante française, arrive en Suède. Elle est recueillie par Ivan, obstétricien de bonne famille. Enceinte, elle le supplie de l’avorter. Au lieu d’accéder à sa demande, il lui propose de l’épouser. Elle accouchera pendant la nuit de noces d’une petite Vera. Les époux cachent tous deux un lourd secret : le père de l’enfant de Sandrine est un soldat allemand ; Ivan est homosexuel, il épouse Sandrine pour sauver les apparences. Sandrine se retrouve dans la luxueuse demeure d’Ivan, avec une enfant qu’elle ne peut aimer et une belle famille qui l’abhorre. Elle sombre dans une dépression – entretenue par les narcotiques qu’on la force à avaler. Elle ne comprend pas pourquoi son mari refuse de la toucher, de partager sa couche. Sa belle-sœur finit par lui dire la vérité sur l’orientation sexuelle de son mari. Mais la mère d’Ivan veut absolument que Sandrine retombe enceinte, jusqu’à l’obliger à coucher avec son autre fils. De son côté, Sandrine est hantée par Levi, son amour de jeunesse, un Juif qui fut déporté. Elle cherche à savoir s’il est vivant. Ivan lui raconte qu’il est mort. Lorsque Sandrine découvre son mensonge, elle empoisonne toute la famille et fuit, enceinte, avec sa fille. Elles se retrouvent dans la maison de campagne d’Ivan où elles rencontrent l’ancien amant de ce dernier. Jannik les prend sous son aile. Sandrine finit par partir à la recherche de Levi en laissant Vera à l’ancien amour d’Ivan.
Vera est un roman très abouti aux personnages complexes et à l’écriture parfaitement maîtrisée. L’histoire se construit par touches successives, avec une alternance entre le présent de la narratrice (années 1945 à 1955) et son passé (de son enfance à Marseille jusqu’à la guerre et sa fuite en Pologne). Le présent éclaire le passé, et vice versa. On retrouve la même sensation de confinement chez Sandrine en Suède et chez elle à Marseille, reflet de la condition féminine toute entière. Le roman est baigné de mystère, sans doute grâce à la pudeur et l’état somnambulique (du moins au début) de la narratrice Sandrine. L’effet d’attente est là, du début à la fin. Certes, le lecteur perspicace peut se douter de l’homosexualité d’Ivan et du traumatisme de Sandrine pendant la guerre, mais tout est tellement plus complexe : Ivan veut ouvrir une clinique pour avorter les femmes alors même qu’il a refusé l’IVG à Sandrine, témoignage de l’ambiguïté de la société suédoise de l’époque sur la question de l’avortement ; toute la famille a vécu sous la férule du père qui n’a jamais accepté l’homosexualité de son fils. Quant à Sandrine, elle est pétrie de culpabilité. Non seulement elle a été violée par un Allemand, mais elle a aussi vécu avec lui pendant plusieurs mois, victime d’une sorte de syndrome de Stockholm. Son histoire familiale intéressera tout particulièrement les lecteurs français : Sandrine est française, sa mère était résistante, et tout un pan du roman se déroule à Marseille. Tout est merveilleusement mené, crédible et subtil. Comme sa mère, Sandrine résiste, non pas aux Allemands, mais à la toute-puissance des hommes. Elle qui a fui la guerre se retrouve chez Ivan, dans « une prison dorée » dont elle finit par s’échapper. Quant à la mère de Sandrine, elle est une pure héroïne féministe, elle clame haut et fort que les hommes sont inutiles et elle refuse de quitter la résistance malgré la pression du père de ses enfants.
L’écriture est poétique, riche en métaphores et en symboles. Les premières scènes glaçantes – le mariage et l’accouchement sur une île isolée en plein mois de décembre – sont autant de signes avant-coureurs de l’enfermement de Sandrine, de sa solitude.
En bref, un roman haletant, beau et cruel qui ne laissera personne indifférent. Il a été salué par la critique en Suède à sa sortie.