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« F » de Katarina Frostenson présenté par Elena BALZAMO

Couverture de livre

La littérature sur l’expérience carcérale est immense, depuis le Comte de Monte-Cristo jusqu’aux récits des détenus du Goulag soviétique. Par comparaison, les livres qui parlent de l’expérience de ceux qui attendent la libération et le retour d’un prisonnier sont extrêmement rares. Et pour cause : le temps est figé, la vie est mise entre parenthèses, il n’y a que l’attente – mais comment la décrire ?

Auteur : Katarina Frostenson
Titre suédois : F
Nombre de pages : 244
Année de publication : 2020
Editeur : Polaris
Livre présenté par : Elena Balzamo, elena.balzom@gmail.com

Katarina Frostenson relève le défi. Dans son nouveau livre, un mélange de chronique, de témoignage et d’essai, largement autobiographique, elle entreprend de mettre en paroles l’attente de son mari qui purge sa peine dans une prison suédoise.

Peu importe en l’occurrence le côté factuel, un scandale qui en 2017 faillit détruire l’Académie suédoise, fondée en 1786 par le roi Gustave III, et qui depuis 1901 gère l’attribution du Prix Nobel. Poète à la renommée internationale, Frostenson était membre de cette Académie, lorsque son époux, une personnalité culturelle en vue, fut accusé de harcèlement sexuel et de viol, mis en examen et finalement condamné à la prison ferme. Poussée vers la sortie à cause du soutien indéfectible à l’égard de son mari, Frostenson finit par démissionner, une chute sociale qui fit d’elle un paria dans son pays. En 2019, elle fit paraître un livre, intitulé K, dans lequel elle revenait sur ce drame. (Cf. la présentation du livre K sur le site.)

F est à la fois une suite chronologique de K et une œuvre parfaitement autonome, très différente de la précédente. La principale différence tient au sujet : ce n’est plus « l’affaire » dont l’auteur s’efforce de démonter l’iniquité ; mais le néant qui suit la proclamation de la peine : l’attente.

Que faire quand votre camarade de toujours, votre moitié, votre alter-ego est séparé de vous par des murs, des barbelés et toute la pesante bureaucratie qui régit les rapports entre un prisonnier et ses proches ? Comment organiser la vie en attendant sa libération ? Comment maintenir le lien qui vous unit et qui est désormais tributaire des rares rendez-vous et des conversations téléphoniques aléatoires ? Comment préserver une part d’intimité dans des conditions qui ne lui laissent aucune place ?

Le récit se déroule sur deux plans, celui du quotidien que la narratrice s’efforce à gérer, en ce déplaçant entre la Suède, sa patrie désormais honnie, et la France, son pays d’élection – une narration qui relève d’un journal de bord –, et celui d’une relation affective qui se maintient et évolue selon ses propres lois. Là, les souvenirs des événements vécus ensemble, des conversations menées et – surtout ! – des livres lus, pèsent plus lourd que les contingences matérielles. Avec un brio stylistique qui n’étonne guère chez un poète de cette envergure, Frostenson réussit le pari : transformer le temps vide en un temps plein.

Une autopsie de l’attente – voici un sujet qui ne connaît pas de frontières et qui est susceptible de trouver son public aussi bien en Suède qu’en France.

Cf. la présentation du livre K sur le site.

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Née en 1953, lauréate d’innombrables prix, traduite dans une dizaine de langues, Katarina Frostenson a été publiée en traduction française essentiellement dans des anthologies ; en 2019, un volume bilingue de sa poésie, Violente la chanson (trad. M.-H. Archambeaud) est paru aux éditions Cheyne.