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« SÀPMI – épopée » de Linnea Axelsson présenté par Rachel ERDMANN

Linnea Axelsson, née en 1980, est originaire de la région où Ædnan est enraciné. C’est le deuxième livre de son auteure, après le roman Tvillingsmycket, publié en 2010 et non traduit. Ædnan est un poème de presque 800 pages, à la manière des épopées antiques ou des sagas vikings…mais il n’est pas question ici de glorifier un héros par des paroles emphatiques. Il s’agit de redonner sa place au peuple same, peuple autochtone du nord de la Suède, qui parle par les voix des membres de deux familles qui se croisent, se répondent, se complètent.

Il ne s’agit pas non plus d’intimider avec un livre d’une épaisseur inhabituelle : quelques heures suffisent à sa lecture, les vers sont courts, tranchants, rien n’est fioriture. Les mots sont minutieusement choisis, le dépouillement magnifie le propos.

Auteur du livre : Linnea Axelsson
Titre suédois : ÆDNAN – epos
Nombre de pages : 767
Année de publication : 2018
Editeur : Albert Bonniers förlag, info@bonnierrights.se
Livre présenté par la traductrice : Rachel Erdmann, erdmann.rachel@wanadoo.fr.

Un extrait traduit est disponible sous la présentation.

La place de la poésie en Suède n’a rien à voir avec celle qu’elle occupe en France aujourd’hui. Beaucoup d’auteurs contemporains ont commencé leur carrière par l’édition d’un recueil de poèmes, et continuent souvent à pratiquer ce genre en parallèle d’une autre forme d’écriture. Publier une recueil au cours d’une carrière littéraire est  presque banal. Les femmes poètes renommées sont nombreuses, l’Académie Suédoise en compte deux parmi ses 18 membres. Un texte poétique suédois n’est pas conçu comme obscur ou inaccessible -en témoignent les textes du prix Nobel de littérature Tomas Tranströmer- il a au contraire vocation de s’adresser à tous.

Linnea Axelsson a donc choisi une forme dont l’usage n’est pas exceptionnel et, au fil de monologues intérieurs, évoque toute la réalité du peuple same : la confiscation des territoires de pâture des rennes, la dispersion d’une nation (Sàpmi) entre quatre pays différents -la Suède, la Finlande, la Norvège et la Russie-, le problème linguistique, les Sames parlant, selon leur région d’origine, plusieurs langues de la même famille que le finnois, mais sans aucun lien avec le suédois. Et surtout Ædnan met à nu le mépris dont les Sames ont fait l’objet depuis toujours, alors qu’ils sont les premiers habitants du nord de la péninsule scandinave. Il rappelle la convoitise qu’attisent les territoires qu’ils occupent de façon nomade depuis des siècles car le sous-sol est riche, les rivières sont puissantes… Exploitation minière, centrales hydro-électriques sont bien plus rentables que la tradition ancestrale de l’élevage des rennes…

Ædnan traverse le XXème siècle, depuis les premières décennies où les Suédois s’intéressaient aux Sames comme on s’intéresse à des animaux sauvages dont on étudie les particularismes, jusqu’aux années récentes où une frange de la population est devenue active politiquement, s’engage pour défendre ses droits, et lutte pour préserver sa culture.

Le terme « ædnan » est un mot d’ancien same du nord qui signifie à la fois pays, terre, territoire mais Linnea Axelsson a choisi d’écrire son texte en suédois et a ainsi permis à chacun de prendre conscience de l’invraisemblable contradiction que représente le traitement des Sames dans ce pays de l’égalité et du respect de tous. On découvre ainsi une réalité sombre de la Suède, qui n’est pas volontiers affichée, et dont les Suédois eux-mêmes n’ont pas toujours conscience.

Le livre a obtenu le prix « August » en novembre dernier. Cette récompense montre l’importance que le monde littéraire suédois a accordé à ce texte unique, et souligne sa qualité.

Au delà de la réalité same,  Ædnan interroge sur l’attitude des nations colonisatrices face à des cultures ancestrales très éloignées de la recherche du profit.

Le lecteur y partage le drame des peuples autochtones écrasés par la culture et l’expansionnisme économique des détenteurs du pouvoir, qu’ils soient européens, américains, australiens…

Extrait traduit